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débiles ! Un hurlement se fait entendre, vos joues sont couvertes de pleurs. Les murs, les lambris, sont teints de sang ; cette salle, ce vestibule, sont pleins de larves qui descendent dans l’Erèbe, à travers l’ombre. Le soleil s’évanouit dans le ciel, et la nuit des enfers se lève. "

Tout formidable que soit ce sublime, il le cède encore à la vision du livre de Job :

" Dans l’horreur d’une vision de nuit, lorsque le sommeil endort le plus profondément les hommes,

" Je fus saisi de crainte et de tremblement, et la frayeur pénétra jusqu’à mes os.

Un esprit passa devant ma face, et le poil de ma chair se hérissa d’horreur.

Je vis celui dont je ne connaissais point le visage. Un spectre parut devant mes yeux, et j’entendis une voix comme un petit souffle[1]. "

Il y a là beaucoup moins de sang, de ténèbres, de larves que dans Homère ; mais ce visage inconnu et ce petit souffle sont en effet beaucoup plus terribles.

Quant à ce sublime qui résulte du choc d’une grande pensée et d’une petite image, nous allons en voir un bel exemple en parlant des comparaisons.

Si le chantre d’Ilion peint un jeune homme abattu par la lance de Ménélas, il le compare à un jeune olivier couvert de fleurs, planté dans un verger loin des feux du soleil, parmi la rosée et les zéphyrs ; tout à coup un vent impétueux le renverse sur le sol natal, et il tombe au bord des eaux nourricières qui portaient la sève à ses racines. Voilà la longue comparaison homérique avec ces détails charmants :

Kalon, thleqaon, to de te pnoiai doneousi

Pantoiwn anemwn, cai te bruei anqei leucy.

(Iliad., liv. XVII, v. 55-56. — N.d.A.)

On croit entendre les soupirs du vent dans la tige du jeune olivier. Quam flatus motant omnium ventorum.

La Bible pour tout cela n’a qu’un trait : " L’impie, dit-elle, se flétrira comme la vigne tendre, comme l’olivier qui laisse tomber sa fleur[2]. "

  1. Job, chap. IV, v. 13, 14, 15, 16. Les mots en italique indiquent les endroits où nous différons de Sacy. Il traduit : Un esprit vint se présenter devant moi, et les cheveux m’en dressèrent à la tête. On voit combien l’hébreu est plus énergique. (N.d.A.)
  2. Job, chap. XV, v. 33.(N.d.A.)