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hommes, comme l’ont cru tous les philosophes, par quel culte veut-on remplacer celui de nos pères ? On se rappellera longtemps ces jours où des hommes de sang prétendirent élever des autels aux vertus sur les ruines du christianisme. D’une main ils dressoient des échafauds ; de l’autre, sur le frontispice de nos temples, ils garantissoient à Dieu l’éternité, et à l’homme la mort ; et ces mêmes temples où l’on voyoit autrefois ce Dieu qui est connu de l’univers, ces images de Vierge qui consoloient tant d’infortunés, ces temples étaient dédiés à la Vérité, qu’aucun homme ne connoît, et à la Raison, qui n’a jamais séché une larme !


CHAPITRE V.

De l’Incarnation.



L’Incarnation nous présente le Souverain des cieux dans une bergerie, celui qui lance la foudre, entouré de bandelettes de lin, celui que l’univers ne peut contenir, renfermé dans le sein d’une femme. L’antiquité eût bien su tirer parti de cette merveille. Quels tableaux Homère et Virgile ne nous auroient-ils pas laissés de la nativité d’un Dieu dans une crèche, des pasteurs accourus au berceau, des mages conduits par une étoile, des anges descendant dans le désert, d’une vierge mère adorant son nouveau-né, et de tout ce mélange d’innocence, d’enchantement et de grandeur !

En laissant à part ce que nos mystères ont de direct et de sacré, on pourroit retrouver encore sous leurs voiles les vérités les plus ravissantes de la nature. Ces secrets du ciel, sans parler de leur partie mystique, sont peut-être le type des lois morales et physiques du monde : cela seroit très digne de la gloire de Dieu, et l’on entr’everroit alors pourquoi il lui a plu de se manifester dans ces mystères, de préférence à tout autre qu’il eût pu choisir. Jésus-Christ (par exemple, ou le monde moral) prenant naissance dans le sein d’une vierge nous enseigneroit le prodige de la création physique, et nous montreroit l’univers se formant dans le sein de l’amour céleste. Les paraboles et les figures de ces mystères seroient ensuite gravées dans chaque objet autour de nous. Partout en effet la force naît de la grâce : le fleuve sort de la fontaine ; le lion est d’abord nourri d’un lait pareil à celui que suce l’agneau ; et parmi les hommes, le Tout-Puissant a promis la gloire du ciel à ceux qui pratiquent les plus humbles vertus.

Ceux qui ne découvrirent dans la chaste Reine des anges que des