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lorsqu’elles agissent directement et pour elles-mêmes, sont plus poétiques et plus dramatiques que les divinités chrétiennes. "

On pourrait en juger ainsi à la première vue. Les dieux des anciens partageant nos vices et nos vertus, ayant comme nous des corps sujets à la douleur, des passions irritables comme les nôtres, se mêlant à la race humaine et laissant ici-bas une mortelle postérité, ces dieux ne sont qu’une espèce d’hommes supérieurs, qu’on est libre de faire agir comme les autres hommes. On serait donc porté à croire qu’ils fournissent plus de ressources à la poésie que les divinités incorporelles et impassibles du christianisme ; mais en y regardant de plus près on trouve que cette supériorité dramatique se réduit à peu de chose.

Premièrement, il y a toujours eu dans toute religion, pour le poète et le philosophe, deux espèces de déités. Ainsi l’Etre abstrait dont Tertullien et saint Augustin ont fait de si belles peintures n’est pas le Jéhovah de David ou d’Isaïe ; l’un et l’autre sont fort supérieurs au Theos de Platon et au Jupiter d’Homère. Il n’est donc pas rigoureusement vrai que les divinités poétiques des chrétiens soient privées de toute passion. Le Dieu de l’Ecriture se repent, il est jaloux, il aime, il hait ; sa colère monte comme un tourbillon ; le Fils de l’Homme a pitié de nos souffrances ; la Vierge, les saints et les anges sont émus par le spectacle de nos misères ; en général le Paradis est beaucoup plus occupé des hommes que l’Olympe.

Il y a donc des passions chez nos puissances célestes, et ces passions ont cet avantage sur les passions des dieux du paganisme, qu’elles n’entraînent jamais après elles une idée de désordre et de mal. C’est une chose miraculeuse, sans doute, qu’en peignant la colère ou la tristesse du ciel chrétien, on ne puisse détruire dans l’imagination du lecteur le sentiment de la tranquillité et de la joie : tant il y a de sainteté et de justice dans le Dieu présenté par notre religion !

Ce n’est pas tout ; car si l’on voulait absolument que le Dieu des chrétiens fût un être impassible, on pourrait encore avoir des divinités passionnées aussi dramatiques et aussi méchantes que celles des anciens : l’enfer rassemble toutes les passions des hommes. Notre système théologique nous paraît plus beau, plus régulier, plus savant que la doctrine fabuleuse qui confondait hommes, dieux et démons. Le poète trouve dans notre ciel des êtres parfaits, mais sensibles, et disposés dans une brillante hiérarchie d’amour et de pouvoir ; l’abîme garde ses dieux passionnés et puissants dans le mal comme les dieux mythologiques ; les hommes occupent le milieu, touchant au ciel par leurs vertus, aux enfers par leurs vices ; aimés des anges, haïs des