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un peu le lecteur sur ce sujet : il importe trop au fond de notre ouvrage pour hésiter à le mettre dans tout son jour.

Il y a deux sortes de beau idéal : le beau idéal moral, et le beau idéal physique : l’un et l’autre sont nés de la société.

L’homme très près de la nature, tel que le sauvage, ne le connaît pas ; il se contente, dans ses chansons, de rendre fidèlement ce qu’il voit. Comme il vit au milieu des déserts, ses tableaux sont nobles et simples ; on n’y trouve point de mauvais goût, mais aussi ils sont monotones, et les actions qu’ils expriment ne vont pas jusqu’à l’héroïsme.

Le siècle d’Homère s’éloignait déjà de ces premiers temps. Qu’un Canadien perce un chevreuil de ses flèches, qu’il le dépouille au milieu des forêts, qu’il étende la victime sur les charbons d’un chêne embrasé : tout est poétique dans ces mœurs. Mais dans la tente d’Achille il y a déjà des bassins, des broches, des vases ; quelques détails de plus, et Homère tombait dans la bassesse des descriptions, ou bien il entrait dans la route du beau idéal en commençant à cacher quelque chose.

Ainsi, à mesure que la société multiplia les besoins de la vie, les poètes apprirent qu’il ne fallait plus, comme par le passé, peindre tout aux yeux, mais voiler certaines parties du tableau.

Ce premier pas fait, ils virent encore qu’il fallait choisir, ensuite que la chose choisie était susceptible d’une forme plus belle, ou d’un plus bel effet dans telle ou telle position.

Toujours cachant et choisissant, retranchant ou ajoutant, ils se trouvèrent peu à peu dans des formes qui n’étaient plus naturelles, mais qui étaient plus parfaites que la nature : les artistes appelèrent ces formes le beau idéal.

On peut donc définir le beau idéal l’art de choisir et de cacher.

Cette définition s’applique également au beau idéal moral et au beau idéal physique. Celui-ci se forme en cachant avec adresse la partie infirme des objets ; l’autre, en dérobant à la vue certains côtés faibles de l’âme : l’âme a ses besoins honteux et ses bassesses comme le corps.

Et nous ne pouvons nous empêcher de remarquer qu’il n’y a que l’homme qui soit susceptible d’être représenté plus parfait que nature et comme approchant de la Divinité. On ne s’avise pas de peindre le beau idéal d’un cheval, d’un aigle, d’un lion Ceci nous fait entrevoir une preuve merveilleuse de la grandeur de nos fins et de l’immortalité de notre âme.

La société où la morale parvint le plus tôt à son développement dut atteindre le plus vite au beau idéal moral, ou, ce qui revient au même, au beau idéal des caractères : or, c’est ce qui distingue éminemment