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Et le mien, quand ton bras vient de m’assassiner,

M’ordonne de te plaindre et de te pardonner.

A quelle religion appartiennent cette morale et cette mort ? Il règne ici un idéal de vérité au-dessus de tout idéal poétique. Quand nous disons un idéal de vérité, ce n’est point une exagération ; on sait que ces vers :

Des dieux que nous servons connais la différence, etc.,

sont les paroles mêmes de François de Guise[1]. Quant au reste de la tirade, c’est la substance de la morale évangélique :

Je ne me suis connu qu’au bout de ma carrière.

J’ai fait jusqu’au moment qui me plonge au cercueil

Gémir l’humanité du poids de mon orgueil.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Un trait seul n’est pas chrétien dans ce morceau :

Instruisez l’Amérique, apprenez à ses rois

Que les chrétiens sont nés pour leur donner des lois.

Le poète a voulu faire reparaître ici la nature et le caractère orgueilleux de Guzman : l’intention dramatique est heureuse ; mais prise comme beauté absolue, le sentiment exprimé dans ce vers est bien petit, au milieu des hauts sentiments dont il est environné ! Telle se montre toujours la pure nature auprès de la nature chrétienne. Voltaire est bien ingrat d’avoir calomnié un culte qui lui a fourni ses plus beaux titres à l’immortalité. Il aurait toujours dû se rappeler ce vers, qu’il avait fait sans doute par un mouvement involontaire d’admiration :

Quoi donc ! les vrais chrétiens auraient tant de vertus !

Ajoutons tant de génie.

  1. On ignore assez généralement que Voltaire ne s’est servi des paroles de François de Guise qu’en les empruntant d’un autre poète : Rowe en avait fait usage avant lui dans son Tamerlan, et l’auteur d’Alzire s’est contenté de traduire mot pour mot le tragique anglais : Now learn the difference,’wixt thy faith and mine… Thine bids thee lift thy dagger to my throat ; Mine can forgive the wrong, and bid thee live. (N.d.A.)