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ont fait des stances et imité l’Arioste jusque dans son exposition. Ercilla dit :

No las damas, amor, ne gentilezas,

De cavalleros canto enamorados,

Ni las muestras, regalos y ternezas

De amorosos afectos y cuydados :

Mas el valor, los hechos, las proezas

De aquelos Espanoles esforçados

Que a la cerviz de Arauco ne domada

Pusieron duro yugo por la espada.

C’était encore un bien riche sujet d’épopée que celui de La Lusiade. On a de la peine à concevoir comment un homme du génie du Camoëns n’en a pas su tirer un plus grand parti. Mais enfin il faut se rappeler que ce poète fut le premier poète épique moderne, qu’il vivait dans un siècle barbare, qu’il y a des choses touchantes[1] et quelquefois sublimes dans ses vers, et qu’après tout il fut le plus infortuné des mortels. C’est un sophisme digne de la dureté de notre siècle d’avoir avancé que les bons ouvrages se font dans le malheur : il n’est pas vrai qu’on puisse bien écrire quand on souffre. Les hommes qui se consacrent au culte des muses se laissent plus vite submerger à la douleur que les esprits vulgaires : un génie puissant use bientôt le corps qui le renferme : les grandes âmes, comme les grands fleuves, sont sujettes à dévaster leurs rivages.

Le mélange que le Camoëns a fait de la fable et du christianisme nous dispense de parler du merveilleux de son poème.

Klopstock est tombé dans le défaut d’avoir pris le merveilleux du christianisme pour sujet de son poème. Son premier personnage est un Dieu : cela seul suffirait pour détruire l’intérêt tragique. Toutefois il y a de beaux traits dans Le Messie. Les deux amants ressuscités par le Christ offrent un épisode charmant que n’auraient pu fournir les fables mythologiques. Nous ne nous rappelons point de personnages arrachés au tombeau, chez les anciens, si ce n’est Alceste, Hippolyte et Hérès de Pamphylie[2].

  1. Néanmoins nous différons encore ici des critiques : l’épisode d’Inès nous semble pur, touchant, mais bien loin d’avoir les développements dont il était susceptible. (N.d.A.)
  2. Dans le dixième livre de la République de Platon. Voilà ce que portait la première édition. Depuis ce temps, l’un de nos meilleurs philologues, aussi savant que poli, M. Boissonade, m’a envoyé la note suivante des hommes ressuscités dans l’antiquité païenne par le secours des dieux ou de l’art d’Esculape : " Esculape, qui ressuscita Hippolyte, avait fait d’autres miracles. Apollodore (Bibl. in, 10, 3,) dit, sur le témoignage de différents auteurs, qu’il rendit la vie à Capanée, à Lycurgue, à Tyndare, à Hyménéus, à Glaucus. Télésarque, cité par le Scoliaste d’Euripide (Alc. 2), parle encore de la résurrection d’Orion tentée par Esculape. Voyez les notes de MM. Heyne et Clavier sur le passage d’Apollodore, et celles de M. Walckenaër sur l’Hippolyte d’Euripide, p. 318. " (N.d.A.)