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Son zèle à sa patrie eût pu servir d’appui,

S’il n’eût deux fils trop peu dignes de lui.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Mais Dieu fait sur ces fils, dans le vice obstinés,

Tonner l’arrêt des coups qui leur sont destinés,

Et par un saint héros, dont la voix les menace,

Leur annonce leur perte et celle de leur race.

O Ciel ! quand tu lanças ce terrible décret,

Quel ne fut point d’Héli le deuil et le regret !

Mes yeux furent témoins de toutes ses alarmes,

Et mon front bien souvent fut mouillé de ses larmes.

Ces vers sont remarquables, parce qu’ils sont assez beaux comme vers. Le mouvement qui les termine pourrait être avoué d’un grand poète.

L’épisode de Ruth, raconté dans la grotte sépulcrale où sont ensevelis les anciens patriarches, a de la simplicité :

On ne sait qui des deux, ou l’épouse ou l’époux,

Eut l’âme la plus pure et le sort le plus doux.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Enfin Coras réussit quelquefois dans le vers descriptif. Cette image du soleil à son midi est pittoresque :

Cependant le soleil, couronné de splendeur,

Amoindrissant sa forme, augmentait son ardeur.

Saint-Amand, presque vanté par Boileau, qui lui accorde du génie, est néanmoins inférieur à Coras. La composition du Moïse sauvé est languissante, le vers lâche et prosaïque, le style plein d’antithèses et de mauvais goût. Cependant on y remarque quelques morceaux d’un sentiment vrai, et c’est sans doute ce qui avait adouci l’humeur du chantre de l’Art poétique.

Il serait inutile de nous arrêter à l’Araucana, avec ses trois parties et ses trente-cinq chants originaux, sans oublier les chants supplémentaires de Don Diego de Santistevan Ojozio. Il n’y a point de merveilleux chrétien dans cet ouvrage ; c’est une narration historique de quelques faits arrivés dans les montagnes du Chili. La chose la plus intéressante du poème est d’y voir figurer Ercilla lui-même, qui se bat et qui écrit. L’Araucana est mesuré en octaves, comme l’Orlando et la Jérusalem. La littérature italienne donnait alors le ton aux diverses littératures de l’Europe. Ercilla chez les Espagnols et Spencer chez les Anglais