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Rien de plus auguste et de plus intéressant que cette étude des premiers mouvements du cœur de l’homme. Adam s’éveille à la vie, ses yeux s’ouvrent : il ne sait d’où il sort. Il regarde le firmament ; par un mouvement de désir, il veut s’élancer vers cette voûte, et il se trouve debout, la tête levée vers le ciel. Il touche ses membres, il court, il s’arrête ; il veut parler, et il parle. Il nomme naturellement ce qu’il voit, et s’écrie : " O toi, soleil, et vous, arbres, forêts, collines, vallées, animaux divers ! " et les noms qu’il donne sont les vrais noms des êtres. Et pourquoi Adam s’adresse-t-il au soleil, aux arbres ? " Soleil, arbres, dit-il, savez-vous le nom de celui qui m’a créé ? " Ainsi, le premier sentiment que l’homme éprouve est le sentiment de l’existence de l’Etre suprême ; le premier besoin qu’il manifeste est le besoin de Dieu ! Que Milton est sublime dans ce passage ! Mais se fût-il élevé à ces pensées s’il n’eût connu la religion de Jésus-Christ ?

Dieu se manifeste à Adam ; la créature et le Créateur s’entretiennent ensemble : ils parlent de la solitude. Nous supprimons les réflexions. La solitude ne vaut rien à l’homme. Adam s’endort : Dieu tire du sein même de notre premier père une nouvelle créature, et la lui présente à son réveil : " La grâce est dans sa démarche, le ciel dans ses yeux, et la dignité et l’amour dans tous ses mouvements. Elle s’appelle la femme ; elle est née de l’homme. L’homme quittera pour elle son père et sa mère. " Malheur à celui qui ne sentirait pas là-dedans la Divinité !

Le poète continue à développer ces grandes vues de la nature humaine, cette sublime raison du christianisme. Le caractère de la femme est admirablement tracé dans la fatale chute. Eve tombe par amour-propre : elle se vante d’être assez forte pour s’exposer seule ; elle ne veut pas qu’Adam l’accompagne dans le lieu où elle cultive des fleurs. Cette belle créature, qui se croit invincible en raison même de sa faiblesse, ne sait pas qu’un seul mot peut la subjuguer. L’Ecriture nous peint toujours la femme esclave de sa vanité. Quand Isaïe menace les filles de Jérusalem : " Vous perdrez, leur dit-il, vos boucles d’oreilles, vos bagues, vos bracelets, vos voiles. " On a remarqué de nos jours un exemple frappant de ce caractère. Telles femmes pendant la Révolution ont donné des preuves multipliées d’héroïsme, et leur vertu est venue depuis échouer contre un bal, une parure, une fête. Ainsi s’explique une de ces mystérieuses vérités cachées dans les Ecritures : en condamnant la femme à enfanter avec douleur, Dieu lui a donné une très grande force contre la peine, mais en même temps, et en punition de sa faute, il l’a laissée faible contre le plaisir. Aussi Milton appelle-t-il la femme fair defect of nature, " beau défaut de la nature. "

La manière dont le poète anglais a conduit la chute de nos premiers