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et demande le nom du mort à ceux qui vont jeter aux vers le cadavre qui leur fut promis par la femme athée.

Que différent est le sort de la femme religieuse ! Ses jours sont environnés de joie, sa vie est pleine d’amour : son époux, ses enfants, ses domestiques, la respectent et la chérissent ; tous reposent en elle une aveugle confiance, parce qu’ils croient fermement à la fidélité de celle qui est fidèle à son Dieu. La foi de cette chrétienne se fortifie par son bonheur, et son bonheur par sa foi ; elle croit en Dieu parce qu’elle est heureuse, et elle est heureuse parce qu’elle croit en Dieu.

Il suffit qu’une mère voie sourire son enfant pour être convaincue de la réalité d’une félicité suprême. La bonté de la Providence se montre tout entière dans le berceau de l’homme. Quels accords touchants ! ne seraient-ils que les effets d’une insensible matière ? L’enfant naît, la mamelle est pleine ; la bouche du jeune convive n’est point armée, de peur de blesser la coupe du banquet maternel ; il croît, le lait devient plus nourrissant ; on le sèvre, la merveilleuse fontaine tarit. Cette femme si faible a tout à coup acquis des forces qui lui font surmonter des fatigues que ne pourrait supporter l’homme le plus robuste. Qu’est-ce qui la réveille au milieu de la nuit, au moment même où son fils va demander le repas accoutumé ? D’où lui vient cette adresse qu’elle n’avait jamais eue ? Comme elle touche cette tendre fleur sans la briser ! Ses soins semblent être le fruit de l’expérience de toute sa vie, et cependant c’est là son premier-né ! Le moindre bruit épouvantait la vierge : où sont les armées, les foudres, les périls, qui feront pâlir la mère ? Jadis il fallait à cette femme une nourriture délicate, une robe fine, une couche molle ; le moindre souffle de l’air l’incommodait : à présent un pain grossier, un vêtement de bure, une poignée de paille, la pluie et les vents, ne lui importent guère, tandis qu’elle a dans sa mamelle une goutte de lait pour nourrir son fils, et dans ses haillons un coin de manteau pour l’envelopper.

Tout étant ainsi, il faudrait être bien obstiné pour ne pas embrasser le parti où non seulement la raison trouve le plus grand nombre de preuves, mais où la morale, le bonheur, l’espérance, l’instinct même et les désirs de l’âme nous portent naturellement ; car s’il était vrai, comme il est faux, que l’esprit tînt la balance égale entre Dieu et l’athéisme, encore est-il certain qu’elle pencherait beaucoup du côté du premier : outre la moitié de sa raison, l’homme met de plus dans le bassin de Dieu tout le poids de son cœur.

On sera convaincu de cette vérité si l’on examine la manière dont l’athéisme et la religion procèdent dans leurs démonstrations.

La religion ne se sert que de preuves générales ; elle ne juge que