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chent jamais de bonne foi la vérité, et qu’ils ne sont même attachés à leur système qu’en raison du bruit qu’il fait, prêts à en changer demain avec l’opinion.

Pour n’avoir pas fait cette remarque, on perdit beaucoup de temps et de travail. Ce n’étaient pas les sophistes qu’il falloit réconcilier à la religion, c’étoit le monde qu’ils égaroient. On l’avoit réduit en lui disant que le christianisme étoit un culte né du sein de la barbarie, absurde dans ses dogmes, ridicule dans ses cérémonies, ennemi des arts et des lettres, de la raison et de la beauté ; un culte qui n’avoit fait que verser le sang, enchaîner les hommes et retarder le bonheur et les lumières du genre humain ; on devoit donc chercher à prouver au contraire que de toutes les religions qui ont jamais existé la religion chrétienne est la plus poétique, la plus humaine, la plus favorable à la liberté, aux arts et aux lettres ; que le monde moderne lui doit tout, depuis l’agriculture jusqu’aux sciences abstraites, depuis les hospices pour les malheureux jusqu’aux temples bâtis par Michel-Ange et décorés par Raphaël. On devoit montrer qu’il n’y a rien de plus divin que sa morale, rien de plus aimable, de plus pompeux que ses dogmes, sa doctrine et son culte ; on devoit dire qu’elle favorise le génie, épure le goût, développe les passions vertueuses, donne de la vigueur à la pensée, offre des formes nobles à l’écrivain, et des moules parfaits à l’artiste ; qu’il n’y a point de honte à croire avec Newton et Bossuet, Pascal et Racine ; enfin, il falloit appeler tous les enchantements de l’imagination et tous les intérêts du cœur au secours de cette même religion contre laquelle on les avoit armés.

Ici le lecteur voit notre ouvrage. Les autres genres d’apologies sont épuisés, et peut-être seroient-ils inutiles aujourd’hui. Qui est-ce qui liroit maintenant un ouvrage de théologie ? Quelques hommes pieux qui n’ont pas besoin d’être convaincus, quelques vrais chrétiens déjà persuadés. Mois n’y a-t-il pas de danger à envisager la religion sous un jour purement humain ? Et pourquoi ? Notre religion craint-elle la lumière ? Une grande preuve de sa céleste origine, c’est qu’elle souffre l’examen le plus sévère et le plus minutieux de la raison. Veut-on qu’on nous fasse éternellement le reproche de cacher nos dogmes dans une nuit sainte, de peur qu’on n’en découvre la fausseté ? Le christianisme sera-t-il moins vrai quand il paroîtra plus beau ? Bannissons une frayeur pusillanime ; par excès de religion, ne laissons pas la religion périr. Nous ne sommes plus dans le temps où il étoit bon de dire : Croyez, et n’examinez pas ; on examinera malgré nous ; et notre silence timide, en augmentant le triomphe des incrédules, diminuera le nombre des fidèles.