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VOYAGE A CLERMONT.

L’Auvergne fut presque toujours en révolte sous la seconde race ; elle dépendoit de l’Aquitaine ; et la charte d’Aalon a prouvé que les premiers ducs d’Aquitaine descendoient en ligne directe de la race de Clovis ; ils combattoient donc les Carlovingiens comme des usurpateurs du trône. Sous la troisième race, lorsque la Guyenne, fief de la couronne de France, tomba par alliance et héritage à la couronne d’Angleterre, l’Auvergne se trouva angloise en partie : elle fut alors ravagée par les grandes compagnies, par les écorcheurs, etc. On chantoit partout des complaintes latines sur les malheurs de la France :

Plange regni respublica,
Tua gens, ut schismatica,
Desolatur, etc.

Pendant les guerres de la Ligue, l’Auvergne eut beaucoup à souffrir. Les sièges d’Issoire sont fameux : le capitaine Merle, partisan protestant, fit écorcher vifs trois religieux de l’abbaye d’Issoire. Ce n’étoit pas la peine de crier si haut contre les violences des catholiques.

On a beaucoup cité, et avec raison, la réponse du gouverneur de Bayonne à Charles IX qui lui ordonnoit de massacrer les protestants. Montmorin, commandant en Auvergne à la même époque, fit éclater la même générosité. La noble famille qui avoit montré un si véritable dévouement à son prince ne l’a point démenti de nos jours ; elle a répandu son sang pour un monarque aussi vertueux que Charles IX fut criminel.

Voltaire nous a conservé la lettre de Montmorin :

« Sire,
« J’ai reçu un ordre, sous le sceau de Votre Majesté, de faire mourir tous les protestants qui sont dans ma province. Je respecte trop Votre Majesté pour ne pas croire que ces lettres sont supposées ; et si, ce qu’à Dieu ne plaise, l’ordre est véritablement émané d’elle, je la respecte aussi trop pour lui obéir. »

C’est de Clermont que nous viennent les deux plus anciens historiens de la France, Sidoine Apollinaire et Grégoire de Tours. Sidoine, natif de Lyon et évêque de Clermont, n’est pas seulement un poëte, c’est un écrivain qui nous apprend comment les rois francs célébroient leurs noces dans un fourgon, comment ils s’habilloient et quel étoit leur langage. Grégoire de Tours nous dit, sans compter le reste, ce qui se passoit à Clermont de son temps ; il raconte, avec une ingénuité de détails qui fait frémir, l’épouvantable histoire du prince Anastase, enfermé par l’évêque Caulin dans un tombeau avec le cadavre d’un