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répression de ce crime. Le projet de loi s’occupe des délits commis dans les échelles du Levant, sous les yeux des consuls français ; et ce sont aussi des délits commis dans les échelles du Levant, sous les yeux des consuls du roi, que l’amendement spécifie. Ici les crimes ont le même théâtre, sont perpétrés par les mêmes hommes, attestés par les mêmes témoins, jugés par les mêmes tribunaux : que faut-il donc de plus pour donner à un amendement le caractère de la loi même dans laquelle il peut être placé ?

Je voulais négliger de répondre à une objection qui n’est pas nouvelle, et que depuis dix ans j’ai vu reproduire à propos de presque toutes les lois.

Il est rare quand un amendement a quelque importance qu’on ne dise pas que cet amendement n’est autre chose qu’une loi particulière, qu’un envahissement de l’initiative royale, et qui peut tout au plus devenir l’objet d’une proposition spéciale. Votre sagesse, messieurs, ne s’est pas souvent rendue à cette objection, et vous avez nombre de fois, au contraire, adopté des amendements qui, vous assurait-on, dénaturaient la loi dans son principe, introduisaient une loi dans une loi. Votre mémoire vous en fournira de grands exemples. Vous aurez bientôt, dans le projet de loi sur le droit d’aînesse, l’occasion d’user largement du droit d’amender. Je ne pense pas que vous demandiez au noble rapporteur de votre commission de changer en proposition les amendements qu’elle a jugé convenable de vous présenter à votre dernière séance.

Et en vérité, messieurs, mon amendement fût-il plus étranger à la loi, pourriez-vous, pour une petite convenance de matières, refuser de prévenir un si grand crime ? Et qu’on ne dise pas que dans tous les cas on a le temps d’attendre : l’amendement est urgent, car les malheurs se précipitent ; il ne s’agit pas de prévenir un désordre à venir, mais un désordre du jour.

Au moment où je vous parle, messieurs, une nouvelle moisson de victimes humaines tombe peut-être sous le fer des Turcs. Une poignée de chrétiens héroïques se défend encore au milieu des ruines de Missolonghi, à la vue de l’Europe chrétienne insensible à tant de courage et à tant de malheurs. Et qui peut pénétrer les desseins de la Providence ? J’ai lu hier, messieurs, une lettre d’un enfant de quinze ans, datée des remparts de Missolonghi. " Mon cher compère, écrit-il dans sa naïveté à un de ses camarades à Zante, j’ai été blessé trois fois ; mais je suis, moi et mes compagnons, assez guéri pour avoir repris nos fusils. Si nous avions des vivres, nous braverions des ennemis trois fois plus nombreux. Ibrahim est sous nos murs ; il nous a fait faire