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infidèles à leur foi, rebelles aux lois de leur pays, qui se livrent encore à la traite des noirs, se fissent plus de scrupule d’acheter et de vendre un blanc qu’un noir. Vous niez le crime ? Eh bien, s’il ne se commet pas, la loi ne serait pas appliquée ; mais elle existera comme une menace de votre justice, comme un témoignage de votre gloire, de votre religion, de votre humanité, et j’ose dire comme un monument de la reconnaissance du monde envers la patrie des lumières.

Mais à présent, messieurs, que j’ai bien voulu, pour la force de l’argumentation, combattre a priori la dénégation pure et simple, si elle m’était opposée, les raisonnements du second degré de logique ne laisseraient plus vestige de la dénégation.

Un crime est-il toujours un et entier ? N’y a-t-il assassinat, par exemple, que lorsque l’homme est mort du coup qu’on lui a porté ? La loi n’a-t-elle pas assimilé au crime tout ce qui sert à le faire commettre ? N’enveloppe-t-elle pas dans ses arrêts les complices du criminel comme le criminel lui-même ?

" Les complices d’un crime ou d’un délit, dit le Code pénal, art. 59 et 60, livre II, seront punis de la même peine que les auteurs mêmes de ce crime ou de ce délit, sauf les cas où la loi en aurait disposé autrement. Seront punis de la même peine ceux qui auront, avec connaissance, aidé ou assisté l’auteur ou les auteurs de l’action dans les faits qui l’auront préparée ou facilitée, ou dans ceux qui l’auront consommée. "

On dira que les chrétiens dans le Levant n’achètent pas et ne vendent pas des esclaves blancs : mais n’ont-ils jamais nolisé de bâtiments pour les transporter du lieu où ils avaient subi la servitude au marché où ils devaient être vendus ? Ne sont-ils pas ainsi devenus les courtiers d’un commerce infâme ? N’ont-ils pas ainsi reçu le prix du sang ? Eh quoi ! ces hommes qui ont entendu les cris des enfants et des mères, qui ont entassé dans la cale de leurs vaisseaux des Grecs demi-brûlés, couverts du sang de leur famille égorgée ; ces hommes qui ont embarqué ces chrétiens esclaves avec le marchand turc qui allait, pour quelques piastres, les livrer à l’apostasie et à la prostitution, ces hommes ne seraient pas coupables !

Ici il est évident que le complice est, pour ainsi dire, plus criminel même ; car, s’il n’avait pas, pour un vil gain, fourni des moyens de transport, les malheureuses victimes seraient du moins restées dans les ruines de leur patrie ; et qui sait si la victoire ou la politique, ramenant enfin la Croix triomphante, ne les eût pas rendues un jour à la religion et à la liberté ?