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La scène politique a bien changé de face depuis le jour où les premiers mouvements se firent dans la Morée. Le divan et le cabinet de Saint-Pétersbourg ont commencé à renouer leurs anciennes relations ; les hospodars ont été nommés ; les Turcs ont à peu près évacué la Moldavie et la Valachie ; et s’il y a encore quelque question pendante à l’égard des principautés, il n’en est pas moins vrai que les affaires de la Grèce ne se compliquent plus avec les affaires de la Russie.

On est donc placé sur un terrain tout nouveau pour négocier ; et par la lettre de ses traités, notamment de ceux de Jassy et de Bucharest, la Russie a le droit incontestable de prendre part aux affaires religieuses de la Grèce.

D’un autre côté, l’Europe n’est plus, ni par la nature de ses institutions, ni par les vertus de ses souverains, ni par les lumières de ses cabinets et de ses peuples, dans la position où elle se trouvait lorsqu’elle rêvait le partage de la Turquie. Un sentiment de justice plus général est entré dans la politique depuis que les gouvernements ont augmenté la publicité de leurs actes. Qui songe aujourd’hui à démembrer les États du grand seigneur ? Qui pense à la guerre avec la Porte ? Qui convoite des terres et des privilèges commerciaux quand on a déjà trop de terres, et quand l’égalité des droits et la liberté du commerce deviennent peu à peu le vœu et le code des nations ?

Il ne s’agit donc pas, pour obtenir l’indépendance de la Grèce, d’attaquer ensemble la Turquie et de se battre ensuite pour les dépouilles ; il s’agit simplement de demander en commun à la Porte de traiter avec les Grecs, de mettre fin à une guerre d’extermination qui afflige la chrétienté, interrompt les relations commerciales, gêne la navigation, oblige les neutres à se faire convoyer et trouble l’ordre général.

Si le divan refusait de prêter l’oreille à des représentations aussi justes, la reconnaissance de l’indépendance de la Grèce par toutes les puissances de l’Europe pourrait être la conséquence immédiate du refus : par ce seul fait la Grèce serait sauvée sans qu’on tirât un coup de canon pour elle, et la Porte, tôt ou tard, serait obligée de suivre l’exemple des États chrétiens.

Mais peut-on contester au gouvernement ottoman le droit de souveraineté sur ses États ?

Non. La France, plus qu’un autre pouvoir, doit respecter son ancien allié, maintenir tout ce qu’il est possible de maintenir de ses traités antérieurs et de ses vieilles relations : mais il faut pourtant se placer avec la Turquie comme elle se place elle-même avec les autres peuples.

Pour la Turquie, les gouvernements étrangers ne sont que des gouvernements