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pharisien : " Je ne suis point comme le reste des hommes, qui sont voleurs, injustes et adultères ; je jeûne deux fois la semaine. " Et Dieu vous préférera le publicain qui en s’accusant n’osait même lever les yeux au ciel.

Ces remarques seront faites ; elles le sont déjà, et elles tourneront contre les choses mêmes que vous prétendez établir. L’incrédulité s’enquerra de ce que votre foi a fait pour la Grèce, comme la révolution demande à votre royalisme quelle chaumière il a rebâtie dans la Vendée. Vos doctrines, par vous-mêmes démenties, feront éclater chez les ennemis du trône et de l’autel une grande risée.

Le passé prédit l’avenir : des événements se préparent. Ce n’est pas sans un secret dessein de la Providence qu’Alexandre a disparu au moment où les éléments d’un ordre de choses nouveau fermentent chez tous les peuples. Cette arrière-garde de huit cent mille hommes qui tenait le monde en respect ne peut plus agir dans la même politique, dans la même unité. L’Europe continentale sort de tutelle ; la base sur laquelle s’appuyaient toutes les forces militaires de l’Alliance ne tardera pas à s’ébranler ; cette vaste armée disposée en échelons, dont la tête était à Naples et la queue à Moscou, bientôt sera disloquée. Quand les flots de cette mer seront retirés, on verra le fond des choses à découvert. Alors on se repentira, mais trop tard, d’avoir refusé de faire ce qu’on aurait dû pour n’avoir pas besoin de ces flots.

On aime encore à espérer que Missolonghi n’aura pas succombé, que ses habitants, par un nouveau prodige de courage, auront donne le temps à la chrétienté enfin éclairée de venir à leur secours. Mais s’il en était autrement, chrétiens héroïques, s’il était vrai que, près d’expirer, vous nous eussiez chargé du soin de votre mémoire, si notre nom avait obtenu l’honneur d’être au nombre des derniers mots que vous avez prononcés, que pourrions-nous faire pour nous montrer digne d’exécuter le testament de votre gloire ? Que sont à tant de hauts faits, à tant d’adversités, d’inutiles discours ? Une seule épée tirée dans une cause si sainte aurait mieux valu que toutes les harangues de la terre : il n’y a que la parole divine qui soit un glaive.