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Maintenant nous quittons la mer, et, tournant à gauche, nous parcourons en revenant au midi les ruines de la ville, disposées sur l’amphithéâtre des collines.

Nous trouvons d’abord les débris d’un très grand édifice qui semble avoir fait partie d’un palais et d’un théâtre. Au-dessus de cet édifice, en montant à l’ouest, on arrive aux belles citernes qui passent généralement pour être les seuls restes de Carthage : elles recevaient peut-être les eaux d’un aqueduc dont on voit des fragments dans la campagne. Cet aqueduc parcourait un espace de cinquante milles, et se rendait aux sources du Zawan 10. et de Zungar. Il y avait des temples au-dessus de ces sources. Les plus grandes arches de l’aqueduc ont soixante-dix pieds de haut, et les piliers de ces arches emportent seize pieds sur chaque face. Les citernes sont immenses : elles forment une suite de voûtes qui prennent naissance les unes dans les autres, et qui sont bordées, dans toute leur longueur, par un corridor : c’est véritablement un magnifique ouvrage.

Pour aller des citernes publiques à la colline de Byrsa, on traverse un chemin raboteux. Au pied de la colline, on trouve un cimetière et un misérable village, peut-être le Tents de lady Montague 11. . Le sommet de l’acropole offre un terrain uni, semé de petits morceaux de marbre, et qui est visiblement l’aire d’un palais ou d’un temple. Si l’on tient pour le palais, ce sera le palais de Didon ; si l’on préfère le temple, il faudra reconnaître celui d’Esculape. Là, deux femmes se précipitèrent dans les flammes, l’une pour ne pas survivre à son déshonneur, l’autre à sa patrie.

Soleil, dont les regards embrassent l’univers,
Reine des dieux, témoins de mes affreux revers,
Triple Hécate, pour qui dans l’horreur des ténèbres
Retentissent les airs des hurlements funèbres ;
Pâles filles du Styx, vous tous, lugubres dieux,
Dieux de Didon mourante, écoutez tous mes vœux !
S’il faut qu’enfin ce monstre, échappant au naufrage,
Soit poussé dans le port, jeté sur le rivage ;
Si c’est l’arrêt du sort, la volonté des cieux,
Que du moins assailli d’un peuple audacieux,
Errant dans les climats où son destin l’exile,
Implorant des secours, mendiant un asile,
Redemandant son fils arraché de ses bras,
De ses plus chers amis il pleure le trépas !…