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Détruisez la cause, vous détruirez l’effet. Ne calomniez pas les Grecs parce que vous ne voulez pas les secourir ; pour vous justifier d’être les amis du bourreau, n’accusez pas la victime.

Enfin, il y a dans une nation chrétienne, par cela seul qu’elle est chrétienne, plus de principes d’ordre et de qualités morales que dans une nation mahométane. Les Turcs, eussent-ils quelques-unes de ces vertus particulières que donne l’usage du commandement et qui peuvent manquer aux Grecs, ont moins de ces vertus publiques qui entrent dans la composition de la société. Sous ce seul rapport, l’Europe doit préférer un peuple qui se conduit d’après les lois régénératrices des lumières à un peuple qui détruit partout la civilisation. Voyez ce que sont devenues sous la domination des Turcs l’Europe, l’Asie et l’Afrique mahométanes.

Après les reproches généraux faits au caractère des Grecs viennent les reproches particuliers relatifs à leur position du moment.

" Les Grecs ont appliqué à des intérêts privés l’argent qu’on leur avait prêté pour les intérêts de leur liberté ; les Grecs admettent dans leurs rangs des aventuriers ; ils souffrent des intrigues et des ambitions étrangères. Les capitani sont divisés et avides ; la Grèce est plongée dans l’anarchie, etc., etc. "

Des compagnies françaises s’étaient présentées pour remplir l’emprunt de Grèce. Si elles l’avaient obtenu, elles n’auraient pas fait des reproches si amers à la nation qu’elles auraient secourue : on sait en France que quelques désordres sont inséparables des grands malheurs ; on sait qu’un peuple qui sort tumultuairement de l’esclavage n’est pas un peuple régulier, versé dans cet art de l’administration, fruit de l’ordre politique et de la progression du temps. On ne croit point en France que les services rendus donnent le droit d’insulte et autorisent un langage offensif et hautain. Si des particuliers avaient détourné à leur profit l’argent prêté à la Grèce, comment la Grèce aurait-elle depuis cinq ans fourni aux frais de cinq campagnes aussi dispendieuses que meurtrières ? On sait de plus que les Hellènes avaient acheté des vaisseaux en Angleterre et aux États-Unis. Ces forces seraient arrivées, si les sources n’en avaient été taries par l’Europe chrétienne.

" Les Grecs admettent dans leurs rangs des aventuriers ; ils souffrent des intrigues et des ambitions étrangères. "

Admettons ce reproche, si tel est le fait : mais à qui la faute ? Les Grecs abandonnés de tous les gouvernements réguliers et chrétiens reçoivent quiconque leur apporte quelque secours. Que des intrigues étrangères s’agitent au milieu d’eux, ils ne peuvent les empêcher : mais, loin de les favoriser, ils