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elles paraissaient d’une hauteur démesurée : comme on les apercevait à travers la verdure des rizières, le cours du fleuve, la cime des palmiers et des sycomores, elles avaient l’air de fabriques colossales bâties dans un magnifique jardin. La lumière du soleil, d’une douceur admirable, colorait la chaîne aride de Moqattam, les sables libyques, l’horizon de Sacarah et la plaine des tombeaux. Un vent frais chassait de petits nuages blancs vers la Nubie, et ridait la vaste nappe des flots du Nil. L’Égypte m’a paru le plus beau pays de la terre : j’aime jusqu’aux déserts qui la bordent et qui ouvrent à l’imagination les champs de l’immensité.

Nous vîmes en revenant de notre course la mosquée abandonnée dont j’ai parlé au sujet de l’El-Sachra de Jérusalem, et qui me paraît être l’original de la cathédrale de Cordoue.

Je passai cinq autres jours au Caire, dans l’espoir de visiter les sépulcres de Pharaon ; mais cela fut impossible. Par une singulière fatalité, l’eau du Nil n’était pas encore assez retirée pour aller à cheval aux Pyramides, ni assez haute pour s’en approcher en bateau. Nous envoyâmes sonder les gués et examiner la campagne : tous les Arabes s’accordèrent à dire qu’il fallait attendre encore trois semaines ou un mois avant de tenter le voyage. Un pareil délai m’aurait exposé à passer l’hiver en Égypte (car les vents de l’ouest allaient commencer) ; or, cela ne convenait ni à mes affaires ni à ma fortune. Je ne m’étais déjà que trop arrêté sur ma route, et je m’exposai à ne jamais revoir la France, pour avoir voulu remonter au Caire. Il fallut donc me résoudre à ma destinée, retourner à Alexandrie et me contenter d’avoir vu de mes yeux les Pyramides, sans les avoir touchées de mes mains. Je chargeai M. Caffe d’écrire mon nom sur ces grands tombeaux, selon l’usage, à la première occasion : l’on doit remplir tous les petits devoirs d’un pieux voyageur. N’aime-t-on pas à lire sur les débris de la statue de Memnon le nom des Romains qui l’ont entendue soupirer au lever de l’aurore ? Ces Romains furent comme nous étrangers dans la terre d’Égypte, et nous passerons comme eux.

Au reste, je me serais très bien arrangé du séjour du Caire ; c’est la seule ville qui m’ait donné l’idée d’une ville orientale telle qu’on se la représente ordinairement : aussi figure-t-elle dans Les Mille et une Nuits. Elle conserve encore beaucoup de traces du passage des Français : les femmes s’y montrent avec moins de réserve qu’autrefois ; on est absolument maître d’aller et d’entrer partout où l’on veut ; l’habit européen, loin d’être un objet d’insulte, est un titre de protection. Il y a un jardin assez joli, planté en palmiers avec des allées circulaires, qui sert de promenade publique : c’est l’ouvrage de nos soldats.