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quelque chose, notre opinion est formée depuis longtemps : nous l’avons manifestée à une époque l’on ne songeait guère à l’émancipation de la patrie de Léonidas 6. .

Dans tous les comités philhellènes formés en Europe on remarque des noms qui, par des oppositions politiques, semblaient devoir difficilement se réunir : que faut-il conclure de ces observations ? Qu’aucune passion, qu’aucun esprit de parti n’entre dans l’opinion qui sollicite la délivrance de la Grèce ; et la rencontre de tant d’esprits divers dans une même vérité dépose fortement, comme nous l’avons dit, en faveur de cette vérité.

Les ennemis des Grecs, d’ailleurs en très petit nombre, sont loin de montrer la même unanimité dans les motifs de la haine qui les anime : cela doit être, car ils sont dans le faux, et ils ne peuvent soutenir leur sentiment que par des sophismes. Tantôt ils transforment les Grecs en carbonari et en jacobins ; tantôt ils attaquent le caractère même de la nation grecque et se font des arguments de leurs calomnies.

On répondra, sur le premier chef d’accusation, que les Grecs ne sont point des jacobins ; qu’ils n’ont point manifesté de projets destructeurs de l’ordre ; qu’au lieu de s’élever contre les princes des nations, ils ont imploré leur puissance. Ils leur ont demandé de les admettre dans la grande communauté chrétienne ; ils ont élevé vers eux une voix suppliante ; et, loin de préférer à tout autre le gouvernement républicain, leurs mœurs et leurs désirs les font pencher vers la monarchie. Les a-t-on écoutés ? Non : on les a repoussés sous le couteau ; on les a renvoyés à la boucherie. On a prétendu que briser les fers de la tyrannie, c’était se délier d’un serment de fidélité, comme s’il pouvait y avoir un contrat social entre l’homme et la servitude !

Le souvenir des maux qui ont désolé notre patrie sert aujourd’hui d’argumentaux ennemis des principes généreux. Eh quoi ! parce qu’une révolution se sera plongée dans les excès les plus coupables, tous les opprimés, quelque part qu’ils gémissent sur la surface du globe, seront obligés de se résigner au joug pour expier des crimes dont ils sont innocents ! Toutes les mains enchaînées qui labourent péniblement la terre seront accusées des forfaits dont elles n’ont point été souillées ! Le fantôme d’une liberté sanglante qui couvrit la France d’échafauds aura prononcé du haut de ces échafauds l’esclavage du monde !