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ennemis ne cherchaient qu’à fuir, mais la fuite pour eux était impossible en se précipitant en foule ils s’embarrassaient les uns les autres. Le petit nombre qui parvint à s’échapper s’enferma dans le temple de Salomon, et s’y défendit assez longtemps. Comme le jour commençait à baisser, nos soldats envahirent le Temple ; pleins de fureur, ils massacrèrent tous ceux qui s’y trouvèrent. Le carnage fut tel, que les cadavres mutilés étaient entraînés par les flots de sang jusque dans le parvis ; les mains et les bras coupés flottaient sur ce sang, et allaient s’unir à des corps auxquels ils n’avaient point appartenu. "

En achevant de décrire les lieux célébrés par le Tasse, je me trouve heureux d’avoir pu rendre le premier à un poète immortel le même honneur que d’autres avant moi ont rendu à Homère et à Virgile. Quiconque est sensible à la beauté, à l’art, à l’intérêt d’une composition poétique, à la richesse des détails, à la vérité des caractères, à la générosité des sentiments, doit faire de La Jérusalem délivrée sa lecture favorite. C’est surtout le poème des soldats : il respire la valeur et la gloire ; et, comme je l’ai dit dans Les Martyrs, il semble écrit au milieu des camps sur un bouclier.

Je passai environ cinq heures à examiner le théâtre des combats du Tasse. Ce théâtre n’occupe guère plus d’une demi-lieue de terrain, et le poète a si bien marqué les divers lieux de son action, qu’il ne faut qu’un coup d’œil pour les reconnaître.

Comme nous rentrions dans la ville par la vallée de Josaphat, nous rencontrâmes la cavalerie du pacha qui revenait de son expédition. On ne se peut figurer l’air de triomphe et de joie de cette troupe, victorieuse des moutons, des chèvres, des ânes et des chevaux de quelques pauvres Arabes du Jourdain.

C’est ici le lieu de parler du gouvernement de Jérusalem.

Il y a d’abord :

1° Un mosallam ou sangiachey, commandant pour le militaire.

2° Un moula-cady, ou ministre de la police ;

3° Un moufty, chef des santons et des gens de loi ;

(Quand ce moufty est un fanatique ou un méchant homme, comme celui qui se trouvait à Jérusalem de mon temps, c’est de toutes les autorités la plus tyrannique pour les chrétiens.)

4° Un mouteleny, ou douanier de la mosquée de Salomon ;

5° Un sousbachi, ou prévôt de la ville.

Ces tyrans subalternes relèvent tous, à l’exception du moufty, d’un premier tyran ; et ce premier tyran est le pacha de Damas.

Jérusalem est attachée, on ne sait pourquoi, au pachalic de Damas, si ce n’est à cause du système destructeur que les Turcs suivent naturellement