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fer et la dévastation. Mais cette architecture égyptienne s’est modifiée selon le génie des peuples : elle ne changea guère chez les premiers Hébreux, où elle se débarrassa seulement des monstres et des dieux de l’idolâtrie. En Grèce, où elle fut introduite par Cécrops et Inachus ; elle s’épura, et devint le modèle de tous les genres de beautés. Elle parvint à Rome par les Toscans, colonie égyptienne ; elle y conserva sa grandeur, mais elle n’atteignit jamais sa perfection, comme à Athènes. Des apôtres accourus de l’Orient la portèrent aux barbares du Nord : sans perdre parmi ces peuples son caractère religieux et sombre, elle s’éleva avec les forêts des Gaules et de la Germanie ; elle présenta la singulière union de la force, de la majesté, de la tristesse dans l’ensemble et de la légèreté la plus extraordinaire dans les détails. Enfin, elle prit chez les Arabes les traits dont nous avons parlé ; architecture du désert, enchantée comme les oasis, magique comme les histoires contées sous la tente, mais que les vents peuvent emporter avec le sable qui lui servit de premier fondement.

Je pourrais appuyer mon opinion d’un million de faits historiques ; je pourrais montrer que les premiers temples de la Grèce, tels que celui de Jupiter à Onga, près d’Amyclée, étaient de véritables temples égyptiens ; que la sculpture elle-même était égyptienne à Argos, à Sparte, à Athènes, du temps de Dédale et dans les siècles héroïques. Mais j’ai peur d’avoir poussé trop loin cette digression, et il est plus que temps de passer aux monuments gothiques de Jérusalem.

Ceux-ci se réduisent à quelques tombeaux. Les monuments de Godefroy et Baudouin sont deux cercueils de pierre, portés sur quatre petits piliers. Les épitaphes qu’on a lues dans la description de Deshayes sont écrites sur ces cercueils en lettres gothiques. Tout cela en soi-même est fort peu de chose ; cependant, je fus très frappé par l’aspect de ces tombeaux, en entrant au Saint-Sépulcre ; leurs formes étrangères, sur un sol étranger, m’annoncèrent d’autres hommes, d’autres mœurs, d’autres pays ; je me crus transporté dans un de nos vieux monastères : j’étais comme l’Otaïtien quand il reconnut en France un arbre de sa patrie. Je contemplai avec vénération ces mausolées gothiques qui renfermaient des chevaliers français, des pèlerins devenus rois, des héros de La Jérusalem délivrée ; je me rappelai les paroles que le Tasse, met dans la bouche de Godefroy :

Chi sia di noi, ch’esser sepulto schivi,
Ove i membri di Dio fur già sepulti ?

Quant aux monuments turcs, derniers témoins qui attestent à Jérusalem les révolutions des empires, ils ne valent pas la peine qu’on s’y