Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/359

Cette page n’a pas encore été corrigée

bien, à en juger par l’empressement qu’elles mettaient à se montrer dans cette triste ruine. Au reste, je n’aperçus pas un canon, et je ne sais si le recul d’une seule pièce ne ferait pas crouler tous ces vieux créneaux. Nous sortîmes du château après l’avoir examiné pendant une heure ; nous primes une rue qui se dirige de l’ouest à l’est, et qu’on appelle la rue du Bazar : c’est la grande rue et le beau quartier de Jérusalem.. Mais quelle désolation et quelle misère ! N’anticipons pas sur la description générale. Nous ne rencontrions personne, car la plupart des habitants s’étaient retirés dans la montagne à l’arrivée du pacha. La porte de quelques boutiques abandonnées était ouverte ; on aperçoit par cette porte de petites chambres de sept ou huit pieds carrés, où le maître, alors en fuite, mange, couche et dort sur la seule natte qui compose son ameublement.

A la droite du Bazar, entre le Temple et le pied de la montagne de Sion, nous entrâmes dans le quartier des Juifs. Ceux-ci, fortifiés par leur misère, avaient bravé l’assaut du pacha : ils étaient là tous en guenilles, assis dans la poussière de Sion, cherchant les insectes qui les dévoraient, et les yeux attachés sur le Temple. Le drogman me fit entrer dans une espèce d’école : je voulus acheter le Pentateuque hébreu dans lequel un rabbin montrait à lire à un enfant, mais le rabbin ne voulut jamais me le vendre. On a observé que les Juifs étrangers qui se fixent à Jérusalem vivent peu de temps. Quant à ceux de la Palestine, ils sont si pauvres, qu’ils envoient chaque année faire des quêtes parmi leurs frères en Égypte et en Barbarie.

J’avais commencé d’assez longues recherches sur l’état des Juifs à Jérusalem depuis la ruine de cette ville par Titus jusqu’à nos jours ; j’étais entré dans une discussion importante touchant la fertilité de la Judée : à la publication des derniers volumes des Mémoires de l’Académie des Inscriptions, j’ai supprimé mon travail. On trouve dans ces volumes quatre Mémoires de l’abbé Guénée, qui ne laissent rien à désirer sur les deux sujets que je me proposais de traiter. Ces Mémoires sont de véritables chefs-d’œuvre de clarté, de critique et d’érudition. L’auteur des Lettres de quelques Juifs portugais est un de ces hommes dont les cabales littéraires ont étouffé la renommée durant sa vie, mais dont la réputation croîtra dans la postérité. Je renvoie le lecteur curieux à ces excellents Mémoires ; il les trouvera aisément, puisqu’ils viennent d’être publiés et qu’ils existent dans une collection qui n’est pas rare. Je n’ai point la prétention de surpasser les maîtres ; je sais jeter au feu le fruit de mes études et reconnaître qu’on a fait mieux que moi 34. .