Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/301

Cette page n’a pas encore été corrigée

frappantes ; car en sortant de la grotte, où vous avez retrouvé la richesse, les arts, la religion des peuples civilisés, vous êtes transportés dans une solitude profonde, au milieu des masures arabes, parmi des sauvages demi-nus et des musulmans sans foi. Ces lieux sont pourtant ceux-là mêmes où s’opérèrent tant de merveilles ; mais cette terre sainte n’ose plus faire éclater au dehors son allégresse, et les souvenirs de sa gloire sont renfermés dans son sein.

Nous descendîmes de la grotte de la Nativité dans la chapelle souterraine où la tradition place la sépulture des Innocents : " Hérode envoya tuer à Bethléem et en tout le pays d’alentour tous les enfants âgés de deux ans et au-dessous : alors s’accomplit ce qui avait été dit par le prophète Jérémie : Vox in Rama audita est. "

La chapelle des Innocents nous conduisit à la grotte de saint Jérôme : on y voit Je sépulcre de ce docteur de l’Église, celui de saint Eusèbe et les tombeaux de sainte Paule et de sainte Eustochie.

Saint Jérôme passa la plus grande partie de sa vie dans cette grotte. C’est de là qu’il vit la chute de l’empire romain ; ce fut là qu’il reçut ces patriciens fugitifs qui, après avoir possédé les palais de la terre, s’estimèrent heureux de partager la cellule d’un cénobite. La paix du saint et les troubles du monde font un merveilleux effet dans les lettres du savant interprète de l’Ecriture.

Sainte Paule et sainte Eustochie sa fille étaient deux grandes dames romaines de la famille des Gracques et des Scipions. Elles quittèrent les délices de Rome pour venir vivre et mourir à Bethléem dans la pratique des vertus monastiques. Leur épitaphe, faite par saint Jérôme, n’est pas assez bonne et est trop connue pour que je la rapporte ici :

Scipio, quam genuit, etc.

On voit dans l’oratoire de saint Jérôme un tableau où ce saint conserve l’air de tête qu’il a pris sous le pinceau du Carrache et du Dominiquin. Un autre tableau offre les images de Paule et d’Eustochie. Ces deux héritières de Scipion sont représentées mortes et couchées dans le même cercueil. Par une idée touchante, le peintre a donné aux deux saintes une ressemblance parfaite ; on distingue seulement la fille de la mère à sa jeunesse et à son voile blanc : l’une a marché plus longtemps et l’autre plus vite dans la vie, et elles sont arrivées au port au même moment.

Dans les nombreux tableaux que l’on voit aux lieux saints, et qu’aucun voyageur n’a décrits 26. , j’ai cru quelquefois reconnaître la touche