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mille ans, jamais je n’oublierai ce désert qui semble respirer encore la grandeur de Jéhovah et les épouvantements de la mort 22. .

Les cris du drogman, qui me disait serrer notre troupe parce que nous allions entrer dans le camp, me tirèrent de la stupeur où la vue des lieux saints m’avait jeté. Nous passâmes au milieu des tentes ; ces tentes étaient de peaux de brebis noires : il y avait quelques pavillons de toile rayée, entre autres celui du pacha. Les chevaux, sellés et bridés, étaient attachés à des piquets. Je fus surpris de voir quatre pièces d’artillerie à cheval ; elles étaient bien montées, et le charronnage m’en parut anglais. Notre mince équipage et nos robes de pèlerins excitaient la risée des soldats. Comme nous approchions de la porte de la ville, le pacha sortait de Jérusalem. Je fus obligé d’ôter promptement le mouchoir que j’avais jeté sur mon chapeau pour me défendre du soleil, dans la crainte de m’attirer une disgrâce pareille à celle du pauvre Joseph à Tripolizza.

Nous entrâmes dans Jérusalem par la porte des Pèlerins. Auprès de cette porte s’élève la tour de David, plus connue sous le nom de la Tour des Pisans. Nous payâmes le tribut, et nous suivîmes la rue qui se présentait devant nous : puis, tournant à gauche, entre des espèces de prisons de plâtre qu’on appelle des maisons, nous arrivâmes a midi vingt-deux minutes au monastère des Pères latins. Il était envahi par les soldats d’Abdallah, qui se faisaient donner tout ce qu’ils trouvaient à leur convenance.

Il faut être dans la position des Pères de Terre Sainte pour comprendre le plaisir que leur causa mon arrivée. Ils se crurent sauvés par la présence d’un seul Français. Je remis an père Bonaventure de Nola, gardien du couvent, une lettre de M. le général Sebastiani. " Monsieur, me dit le gardien, c’est la Providence qui vous amène. Vous avez des firmans de route ? Permettez-nous de les envoyer au pacha ; il