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Le 25, à six heures du matin, nous jetâmes l’ancre au port de Rhodes, afin de prendre un pilote pour la côte de Syrie. Je descendis à terre, et je me fis conduire chez M. Magallon, consul français. Toujours même réception, même hospitalité, même politesse. M. Magallon était malade ; il voulut cependant me présenter au commandant turc, très bon homme, qui me donna un chevreau noir et me permit de me promener où je voudrais. le lui montrai un firman qu’il mit sur sa tête, en me déclarant qu’il portait ainsi tous les amis du grand seigneur.

Il me tardait de sortir de cette audience, pour jeter du moins un regard sur cette fameuse Rhodes, où je ne devais passer qu’un moment.

Ici commençait pour moi une antiquité qui formait le passage entre l’antiquité grecque, que je quittais, et l’antiquité hébraïque, dont j’allais chercher les souvenirs. Les monuments des chevaliers de Rhodes ranimèrent ma curiosité, un peu fatiguée des ruines de Sparte et d’Athènes. Des lois sages sur le commerce 3. , quelques vers de Pindare sur l’épouse du Soleil et la fille de Vénus 4. , des poètes comiques, des peintres, des monuments plus grands que beaux, voilà, je crois, tout ce que rappelle au voyageur la Rhodes antique. Les Rhodiens étaient braves : il est assez singulier qu’ils se soient rendus célèbres dans les armes pour avoir soutenu un siège avec gloire, comme les chevaliers leurs successeurs. Rhodes, honorée de la présence de Cicéron et de Pompée, fut souillée par le séjour de Tibère. Les Perses s’emparèrent de Rhodes sous le règne d’Honorius ; elle fut prise ensuite par les généraux des califes, l’an 647 de notre ère, et reprise par Anastase, empereur d’Orient. Les Vénitiens s’y établirent en 1203 ; Jean Ducas l’enleva aux Vénitiens. Les Turcs la conquirent sur les Grecs. Les chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem s’en saisirent en 1304, 1308, ou 1309. Ils la gardèrent à peu près deux siècles, et la rendirent à Soliman II, le 25 décembre 1522. On peut consulter, sur Rhodes, Coronelli, Dapper, Savary et M. de Choiseul.

Rhodes m’offrait à chaque pas des traces de nos mœurs et des souvenirs de ma patrie. Je retrouvais une petite France au milieu de la Grèce :

Procedo, et parvam Trojam simulataque magnis
Pergama (…)
Agnosco.