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la côte de la mer de Marmara, autrefois la Propontide. J’aperçus sur ma droite de superbes plaines, un grand lac, et dans le lointain la chaîne de l’Olympe : tout ce pays est magnifique. Après avoir chevauché une heure et demie, nous traversâmes la rivière sur un pont de bois, et nous parvînmes au défilé des hauteurs que nous avions devant nous. Là nous trouvâmes l’échelle ou le port de Mikalitza ; je congédiai mon fripon de guide, et je retins mon passage sur une barque turque prête à partir pour Constantinople.

A quatre heures de l’après-midi, nous commençâmes à descendre la rivière : il y a seize lieues de l’échelle de Mikalitza à la mer. La rivière était devenue un fleuve à peu près de la largeur de la Seine ; elle coulait entre des monticules verts qui baignent leur pied dans les flots. La forme antique de notre galère, le vêtement oriental des passagers, les cinq matelots demi-nus qui nous tiraient à la cordelle, la beauté de la rivière, la solitude des coteaux, rendaient cette navigation pittoresque et agréable.

A mesure que nous approchions de la mer, la rivière formait derrière nous un long canal, au fond duquel on apercevait les hauteurs d’où nous sortions, et dont les plans inclinés étaient colorés par un soleil couchant qu’on ne voyait pas. Des cygnes voguaient devant nous, et des hérons allaient chercher à terre leur retraite accoutumée. Cela me rappelait assez bien les fleuves et les scènes de l’Amérique, lorsque le soir je quittais mon canot d’écorce et que j’allumais du feu sur un rivage inconnu. Tout à coup les collines entre lesquelles nous circulions venant à se replier à droite et à gauche, la mer s’ouvrit devant nous. Au pied des deux promontoires s’étendait une terre basse à demi noyée, formée par les alluvions du fleuve. Nous vînmes mouiller sous cette terre marécageuse, près d’une cabane, dernier kan de l’Anatolie.

Le 12, à quatre heures du matin, nous levâmes l’ancre ; le vent était doux et favorable, et nous nous trouvâmes en moins d’une demi-heure à l’extrémité des eaux du fleuve. Le spectacle mérite d’être décrit. L’aurore s’élevait à notre droite par-dessus les terres du continent ; à notre gauche s’étendait la mer de Marmara ; la proue de notre barque regardait une île ; le ciel à l’orient était d’un rouge vif, qui pâlissait à mesure que la lumière croissait ; l’étoile du matin brillait dans cette lumière empourprée, et au-dessous de cette belle étoile on distinguait à peine le croissant de la lune, comme le trait du pinceau le plus délié : un ancien aurait dit que Vénus, Diane et l’Aurore venaient lui annoncer le plus brillant des dieux. Ce tableau changeait à mesure que je le contemplais bientôt des espèces de rayons roses