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de marche nous arrivâmes au bord de l’Hermus, que nous traversâmes dans un bac. C’est toujours le turbidus Hermus ; je ne sais s’il roule encore de l’or. Je le regardai avec plaisir, car c’était le premier fleuve proprement dit que je rencontrais depuis que j’avais quitté l’Italie. Nous entrâmes à la pointe du jour dans une plaine bordée de montagnes peu élevées. Le pays offrait un aspect tout différent de celui de la Grèce : les cotonniers verts, le chaume jaunissant des blés, l’écorce variée des pastèques, diapraient agréablement la campagne ; des chameaux paissaient çà et là avec les buffles. Nous laissions derrière nous Magnésie et le mont Sipylus : ainsi nous n’étions pas éloignés des champs de bataille où Agésilas humilia la puissance du grand roi et où Scipion remporta sur Antiochus cette victoire qui ouvrit aux Romains le chemin de l’Asie.

Nous aperçûmes au loin sur notre gauche les ruines de Cyme, et nous avions Néon-Tichos à notre droite : j’étais tenté de descendre de cheval et de marcher à pied, par respect pour Homère, qui avait passé dans ces mêmes lieux.

" Quelque temps après, le mauvais état de ses affaires le disposa à aller à Cyme. S’étant mis en route, il traversa la plaine de l’Hermus, et arriva à Néon-Tichos, colonie de Cyme : elle fut fondée huit ans après Cyme. On prétend qu’étant en cette ville chez un armurier, il y récita ces vers, les premiers qu’il ait faits : " O vous, citoyens de l’aimable fille de Cyme, qui habitez au pied du mont Sardène, dont le sommet est ombragé de bois qui répandent la fraîcheur, et qui vous abreuvez de l’eau du divin Hermus, qu’enfanta Jupiter, respectez la misère d’un étranger qui n’a pas une maison où il puisse trouver un asile ! "
" L’Hermus coule près de Néon-Tichos, et le mont Sardène domine l’un et l’autre. L’armurier s’appelait Tychius : ces vers lui firent tant de plaisir, qu’il se détermina à le recevoir chez lui. Plein de commisération pour un aveugle réduit à demander son pain, il lui promit de partager avec lui ce qu’il avait. Mélésigène étant entré dans son atelier, prit un siège, et en présence de quelques citoyens de Néon-Tichos il leur montra un échantillon de ses poésies : c’étaient l’expédition d’Amphiaraüs contre Thèbes et des hymnes en l’honneur des dieux. Chacun en dit son sentiment, et Mélésigène ayant porté là-dessus son jugement, ses auditeurs en furent dans l’admiration.
" Tant qu’il fut à Néon-Tichos, ses poésies lui fournirent les moyens de subsister : on y montrait encore de mon temps le lieu où il avait coutume de s’asseoir quand il récitait ses vers. Ce lieu, qui était