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" Smyrne conserva les restes précieux de cette prospérité jusqu’à l’époque où l’empire eut à lutter contre les barbares : elle fut prise par les Turcs, reprise par les Grecs, toujours pillée, toujours détruite. Au commencement du XIIIe siècle, il n’en existait plus que les ruines et la citadelle, qui fut réparée par l’empereur Jean Comnène, mort en 1224 : cette forteresse ne put résister aux efforts des princes turcs, dont elle fut souvent la résidence, malgré les chevaliers de Rhodes, qui, saisissant une circonstance favorable, parvinrent à y construire un fort et à s’y maintenir ; mais Tamerlan prit en quatorze jours cette place que Bajazet bloquait depuis sept ans.
" Smyrne ne commença à sortir de ses ruines que lorsque les Turcs furent entièrement maîtres de l’empire : alors sa situation lui rendit les avantages que la guerre lui avait fait perdre ; elle redevint l’entrepôt du commerce de ces contrées. Les habitants, rassurés, abandonnèrent le sommet de la montagne et bâtirent de nouvelles maisons sur le bord de la mer : ces constructions modernes ont été faites avec les marbres de tous les monuments anciens, dont il reste à peine des fragments ; et l’on ne retrouve plus que la place du stade et du théâtre. On chercherait vainement à reconnaître les vestiges des fondations, ou quelques pans de murailles qui s’aperçoivent entre la forteresse et l’emplacement de la ville actuelle. "

Les tremblements de terre, les incendies et la peste ont maltraité la Smyrne moderne, comme les barbares ont détruit la Smyrne antique. Le dernier fléau que j’ai nommé a donné lieu à un dévouement qui mérite d’être remarqué entre les dévouements de tant d’autres missionnaires ; l’histoire n’en sera pas suspecte : c’est un ministre anglican qui la rapporte. Frère Louis de Pavie, de l’ordre des Récollets, supérieur et fondateur de l’hôpital Saint-Antoine, à Smyrne, fut attaqué de la peste : il fit vœu si Dieu lui rendait la vie de la consacrer au service des pestiférés. Arraché miraculeusement à la mort, frère Louis a rempli les conditions de son vœu. Les pestiférés qu’il a soignés sont sans nombre, et l’on a calculé qu’il a sauvé à peu près les deux tiers 8. des malheureux qu’il a secourus.

Je n’avais donc rien à voir à Smyrne, si ce n’est ce Mélès, que personne ne connaît, et dont trois ou quatre ravines se disputent le nom 9. .