Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/231

Cette page n’a pas encore été corrigée

première cause de sa ruine dans ses propres institutions. La pudeur, qu’une loi extraordinaire avait exprès foulée aux pieds pour conserver la pudeur, fut enfin renversée par cette loi même : les femmes de Sparte, qui se présentaient demi-nues aux yeux des hommes, devinrent les femmes les plus corrompues de là Grèce : il ne resta aux Lacédémoniens de toutes ces lois contre nature que la débauche et la cruauté. Cicéron, témoin des jeux des enfants de Sparte, nous représente ces enfants se déchirant entre eux avec les dents et les ongles. Et à quoi ces brutales institutions avaient-elles servi ? Avaient-elles maintenu l’indépendance à Sparte ? Ce n’était pas la peine d’élever des hommes comme des bêtes féroces pour obéir au tyran Nabis et pour devenir des esclaves romains.

Les meilleurs principes ont leurs excès et leur côté dangereux : Lycurgue, en extirpant l’ambition dans les murs de Lacédémone, crut sauver sa république, et il la perdit. Après l’abaissement d’Athènes, si les Spartiates eussent réduit la Grèce en provinces lacédémoniennes, ils seraient peut-être devenus les maîtres de la terre : cette conjecture est d’autant plus probable que, sans prétendre à ces hautes destinées, ils ébranlèrent en Asie, tout faibles qu’ils étaient, l’empire du grand roi. Leurs victoires successives auraient empêché une monarchies puissante de s’élever dans le voisinage de la Grèce, pour envahir les républiques. Lacédémone incorporant dans son sein les peuples vaincus par ses armes eût écrasé Philippe au berceau ; les grands hommes qui furent ses ennemis auraient été ses sujets, et Alexandre, au lieu de naître dans un royaume, serait, ainsi que César, sorti du sein d’une république.

Loin de montrer cet esprit de grandeur et cette ambition préservatrice, les Lacédémoniens, contents d’avoir placé trente tyrans à Athènes, rentrèrent aussitôt dans leur vallée, par ce penchant à l’obscurité que leur avaient inspiré leurs lois. Il n’en est pas d’une nation comme d’un homme : la modération dans la fortune et l’amour du repos, qui peuvent convenir à un citoyen, ne mèneront pas bien loin un État. Sans doute il ne faut jamais faire une guerre impie, il ne faut jamais acheter la gloire au prix d’une injustice ; mais ne savoir pas profiter de sa position pour honorer, agrandir, fortifier sa patrie ! c’est plutôt dans un peuple un défaut de génie que le sentiment d’une vertu.

Qu’arriva-t-il de cette conduite des Spartiates ? La Macédoine domina bientôt la Grèce ; Philippe dicta des lois à l’assemblée des amphictyons. D’une autre part, ce faible empire de la Laconie, qui ne tenait qu’à la renommée des armes, et que ne soutenait point une force réelle, s’évanouit ; Epaminondas parut : les Lacédémoniens battus à Leuctres