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porter leur mince équipage champêtre, ou le produit de leur vigne. Bordez cette terre dévastée d’une mer presque aussi solitaire ; placez sur la pente d’un rocher une vedette délabrée, un couvent abandonné ; qu’un minaret s’élève du sein de la solitude pour annoncer l’esclavage, qu’un troupeau de chèvres ou de moutons paisse sur un cap parmi des colonnes en ruines, que le turban d’un voyageur turc mette en fuite les chevriers et rende le chemin plus désert, et vous aurez une idée assez juste du tableau que présente la Grèce.

On a recherché les causes de la décadence de l’empire romain : il y aurait un bel ouvrage à faire sur les causes qui ont précipité la chute des Grecs. Athènes et Sparte ne sont point tombées par les mêmes raisons qui ont amené la ruine de Rome ; elles n’ont point été entraînées par leur propre poids et par la grandeur de leur empire. On ne peut pas dire non plus qu’elles aient péri par leurs richesses : l’or des alliés et l’abondance que le commerce répandit à Athènes furent, en dernier résultat, très peu de chose ; jamais on ne vit parmi les citoyens ces fortunes colossales qui annoncent le changement des mœurs 71 ; et l’État fut toujours si pauvre, que les rois de l’Asie s’empressaient de le nourrir, ou de contribuer aux frais de ses monuments. Quant à Sparte, l’argent des Perses y corrompit quelques particuliers, mais la république ne sortit point de l’indigence.

J’assignerais donc pour la première cause de la chute des Grecs la guerre que se firent entre elles les deux républiques après qu’elles eurent vaincu les Perses. Athènes, comme État, n’exista plus du moment où elle eut été prise par les Lacédémoniens. Une conquête absolue met fin aux destinées d’un peuple, quelque nom que ce peuple puisse ensuite conserver dans l’histoire. Les vices du gouvernement athénien préparèrent la victoire de Lacédémone. Un État purement démocratique est le pire des États lorsqu’il faut combattre un ennemi puissant, et qu’une volonté unique est nécessaire au salut de la patrie. Rien n’était déplorable comme les fureurs du peuple athénien tandis que les Spartiates étaient à ses portes : exilant et rappelant tour à tour les citoyens qui auraient pu le sauver, obéissant à la voix des orateurs factieux, il subit le sort qu’il avait mérité par ses folies ; et si Athènes ne fut pas renversée de fond en comble, elle ne dut sa conservation qu’au respect des vainqueurs pour ses anciennes vertus.

Lacédémone triomphante trouva à son tour, comme Athènes, la