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partir après la musique dont vos oreilles se souviennent encore. Je songerai à votre protégé, qui cependant est un brutal : il ne faut jamais battre personne, et surtout les jeunes filles ; moi-même je n’ai pas eu à me louer de lui à mon dernier passage. Assurez-le toutefois, monsieur, que votre protection aura tout le succès qu’il doit attendre. Je vois avec peine qu’un excès de fatigue, une insomnie forcée, vous a donné la fièvre et n’a rien avancé. Tranquillement ici pendant que les vents alisés retiennent votre navire, Dieu sait où, nous eussions visité Athènes et ses environs sans voir Kératia, ses chèvres et ses mines ; vous eussiez surgi du Pirée à Céos en dépit du vent. Donnez-moi ; je vous prie, de vos nouvelles, et faites en sorte de reprendre le chemin de la France par Athènes. Venez porter quelques offrandes à Minerve pour votre heureux retour ; soyez persuadé que vous ne me ferez jamais plus de plaisir que de venir embellir notre solitude. Agréez, je vous prie, l’assurance, etc.

" Fauvel. "

J’avais pris Kératia dans une telle aversion, qu’il me tardait d’en sortir. J’éprouvais des frissons, et je prévoyais le retour de la fièvre. Je ne balançai pas à avaler une triple dose de quinquina. J’ai toujours été persuadé que les médecins français administrent ce remède avec trop de précaution et de timidité. On amena des chevaux, et nous partîmes avec un guide. En moins d’une demi-heure, je sentis les symptômes du nouvel accès se dissiper, et je repris toutes mes espérances. Nous faisions route à l’ouest par un étroit vallon qui passait entre des montagnes stériles. Après une heure de marche, nous descendîmes dans une belle plaine, qui paraissait très fertile. Changeant alors de direction, nous marchâmes droit au midi, à travers la plaine : nous arrivâmes à des terres hautes, qui formaient, sans que je le susse, les promontoires de la côte ; car, après avoir passé un défilé, nous aperçûmes tout à coup la mer et notre bateau amarré au pied d’un rocher. A la vue de ce bateau, je me crus délivré du mauvais génie qui avait voulu m’ensevelir dans les mines des Athéniens, peut-être à cause de mon mépris pour Plutus.

Nous rendîmes les chevaux au guide : nous descendîmes dans le bateau, que manœuvraient trois mariniers. Ils déployèrent notre voile, et, favorisés d’un vent du midi, nous cinglâmes vers le cap Sunium. Je ne sais si nous partions de la baie qui, selon M. Fauvel, porte le nom d’ Anaviso ; mais je ne vis point les ruines des neuf tours Enneapyrgie, où Wheler se reposa en venant du cap Sunium. L’Azinie des anciens devait être à peu près dans cet endroit. Vers les six heures du soir nous passâmes en dedans de l’île aux Anes, autrefois l’île de Patrocle, et au coucher du soleil nous entrâmes au port de Sunium :