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à pied, avec un bâton blanc. Malheureusement, je n’aurais pas trouvé en arrivant un bon frère qui m’eût dit comme le vieillard des Mille et une Nuits : " Mon frère, voilà mille sequins, achetez des chameaux, et ne voyagez plus. "

Nous allâmes dîner en sortant de la citadelle, et le soir du même jour nous nous transportâmes au Stade, de l’autre côté de l’Ilissus. Ce Stade conserve parfaitement sa forme on n’y voit plus les gradins de marbre dont l’avait décoré Hérode Atticus. Quant à l’Ilissus, il est sans eau. Chandler sort à cette occasion de sa modération naturelle, et se récrie contre les poètes qui donnent à l’Ilissus une onde limpide et bordent son cours de saules touffus. A travers son humeur, on voit qu’il a envie d’attaquer un dessin de Leroi, dessin qui représente un point de vue sur l’Ilissus. Je suis comme le docteur Chandler : je déteste les descriptions qui manquent de vérité, et quand un ruisseau est sans eau, je veux qu’on me le dise. On verra que je n’ai point embelli les rives du Jourdain, ni transformé cette rivière en un grand fleuve. J’étais là cependant bien à mon aise pour mentir. Tous les voyageurs, et l’Ecriture même, auraient justifié les descriptions les plus pompeuses. Mais Chandler a poussé l’humeur trop loin. Voici un fait curieux que je tiens de M. Fauvel : pour peu que l’on creuse dans le lit de l’Ilissus, on trouve l’eau à une très petite profondeur : cela est si bien connu des paysannes albanaises, qu’elles font un trou dans la grève du ravin quand elles veulent laver du linge, et sur-le-champ elles ont de l’eau. Il est donc très probable que le lit de l’Ilissus s’est peu à peu encombré des pierres et des graviers descendus des montagnes voisines, et que l’eau coule à présent entre deux sables. En voilà bien assez pour justifier ces pauvres poètes qui ont le sort de Cassandre : en vain ils chantent la vérité, personne ne les croit ; s’ils se contentaient de la dire, ils seraient peut-être plus heureux. Ils sont d’ailleurs appuyés ici par le témoignage de l’histoire, qui met de l’eau dans l’Ilissus : et pourquoi cet Ilissus aurait-il un pont s’il n’avait jamais d’eau, même en hiver ? L’Amérique m’a un peu gâté sur le compte des fleuves, mais je ne pouvais m’empêcher de venger l’honneur de cet Ilissus, qui a donné un surnom aux Muses 57, et au bord duquel Borée enleva Orithye.

En revenant de l’Ilissus, M. Fauvel me fit passer sur des terrains vagues, où l’on doit chercher l’emplacement du Lycée. Nous vînmes ensuite aux grandes colonnes isolées, placées dans le quartier de la ville qu’on appelait la Nouvelle-Athènes, ou l’ Athènes de l’empereur