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qu’en France, tout ce que Chandler et Guys 39 ont dit des Grecs modernes est encore aujourd’hui de la plus exacte vérité.

Sans faire de l’érudition aux dépens de mes prédécesseurs, je rendrai compte de mes courses et de mes sentiments à Athènes, jour par jour et heure par heure, selon le plan que j’ai suivi jusque ici. Encore une fois, cet Itinéraire doit être regardé beaucoup moins comme un voyage que comme les mémoires d’une année de ma vie 40.

Je descendis dans la cour de M. Fauvel, que j’eus le bonheur de trouver chez lui : je lui remis aussitôt les lettres de M. de Choiseul et de M. de Talleyrand. M. Fauvel connaissait mon nom ; je ne pouvais pas lui dire : " Son pittor anch’io ; " mais au moins j’étais un amateur plein de zèle, sinon de talent ; j’avais une si bonne volonté d’étudier l’antique et de bien faire, j’étais venu de si loin crayonner de méchants dessins, que le maître vit en moi un écolier docile.

Ce fut d’abord entre nous un fracas de questions sur Paris et sur Athènes, auxquelles nous nous empressions de répondre ; mais bientôt Paris fut oublié, et Athènes prit totalement le dessus. M. Fauvel, échauffé dans son amour pour les arts par un disciple, était aussi empressé de me montrer Athènes que j’étais empressé de la voir : il me conseilla cependant de laisser passer la grande chaleur du jour.

Rien ne sentait le consul chez mon hôte, mais tout y annonçait l’artiste et l’antiquaire. Quel plaisir pour moi d’être logé à Athènes dans une chambre pleine des plâtres moulés du Parthénon ! Tout autour des murs étaient suspendus des vues du temple de Thésée, des plans des Propylées, des cartes de l’Attique et de la plaine de Marathon. Il y avait des marbres sur une table, des médailles sur une autre, avec de petites têtes et des vases en terre cuite. On balaya, à mon grand regret, une vénérable poussière ; on tendit un lit de sangle au milieu de toutes ces merveilles ; et comme un conscrit arrivé à l’armée la veille d’une affaire, je campai sur le champ de bataille.

La maison de M. Fauvel a, comme la plupart des maisons d’Athènes, une cour sur le devant et un petit jardin sur le derrière. Je courais à toutes les fenêtres pour découvrir au moins quelque chose dans les rues ; mais c’était inutilement. On apercevait pourtant entre les toits des maisons voisines un petit coin de la citadelle ; je me tenais collé à la fenêtre qui donnait de ce côté, comme un écolier dont l’heure de recréation n’est pas encore arrivée. Le janissaire de M. Fauvel s’était