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Alcibiade quand il eut conduit en sûreté la procession d’Iacchus au temple de Cérès.

Enfin, le grand jour de notre entrée à Athènes se leva. Le 23, à trois heures du matin, nous étions tous à cheval ; nous commençâmes à défiler en silence par la voie Sacrée : je puis assurer que l’initié le plus dévot à Cérès n’a jamais éprouvé un transport aussi vif que le mien. Nous avions mis nos beaux habits pour la fête ; le janissaire avait retourné son turban, et, par extraordinaire, on avait frotté et pansé les chevaux. Nous traversâmes le lit d’un torrent appelé Saranta-Potamo ou les Quarante Fleuves, probablement le Céphise Eleusinien ; nous vîmes quelques débris d’églises chrétiennes : ils doivent occuper la place du tombeau de ce Zarex qu’Apollon lui-même avait instruit dans l’art des chants. D’autres ruines nous annoncèrent les monuments d’Eumolpe et d’Hippothoon ; nous trouvâmes les rhiti ou les courants d’eau salée : c’était là que pendant les fêtes d’Eleusis les gens du peuple insultaient les passants, en mémoire des injures qu’une vieille femme avait dites autrefois à Cérès. De là passant au fond, ou au point extrême du canal de Salamine, nous nous engageâmes dans le défilé que forment le mont Parnès et le mont Egalée : cette partie de la voie Sacrée s’appelait Le Mystique. Nous aperçûmes le monastère de Daphné, bâti sur les débris du temple d’Apollon, et dont l’église est une des plus anciennes de l’Attique. Un peu plus loin, nous remarquâmes quelques restes du temple de Vénus. Enfin le défilé commence à s’élargir ; nous tournons autour du mont Poecile, placé au milieu du chemin comme pour masquer le tableau, et tout à coup nous découvrons la plaine d’Athènes.

Les voyageurs qui visitent la ville de Cécrops arrivent ordinairement par le Pirée ou par la route de Négrepont. Ils perdent alors une partie du spectacle, car on n’aperçoit que la citadelle quand on vient de la mer, et l’Anchesme coupe la perspective quand on descend de l’Eubée. Mon étoile m’avait amené par le véritable chemin pour voir Athènes dans toute sa gloire.

La première chose qui frappa mes yeux, ce fut la citadelle éclairée du soleil levant : elle était juste en face de moi, de l’autre côté de la plaine, et semblait appuyée sur le mont Hymette, qui faisait le fond du tableau. Elle présentait, dans un assemblage confus, les chapiteaux des Propylées, les colonnes du Parthénon et du temple d’Erechthée, les embrasures d’une muraille chargée de canons, les débris gothiques des chrétiens et les masures des musulmans.

Deux petites collines, l’Anchesme et le Musée, s’élevaient au nord et au midi de l’Acropolis. Entre ces deux collines, et au pied de l’Acropolis,