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Les maisons du village, assez grandes et assez bien entretenues, sont répandues par groupes sur la plaine, au milieu des mûriers, des orangers et des cyprès ; les vignes, qui font la richesse du pays, donnent un air frais et fertile à la campagne. Elles ne sont ni élevées en guirlandes sur des arbres comme en Italie, ni tenues basses comme aux environs de Paris. Chaque cep forme un faisceau de verdure isolé autour duquel les grappes pendent en automne comme des cristaux. Les cimes du Parnasse et de l’Hélicon, le golfe de Lépante, qui ressemble à un magnifique canal, le mont Oneïus, couverts de myrtes, forment au nord et au levant l’horizon du tableau, tandis que l’Acro-Corinthe, les montagnes de l’Argolide et de la Sicyonie s’élèvent au midi et au couchant. Quant aux monuments de Corinthe, ils n’existent plus. M. Foucherot n’a découvert parmi les ruines que deux chapiteaux corinthiens, unique souvenir de l’ordre inventé dans cette ville.

Corinthe, renversée de fond en comble par Mummius, rebâtie par Jules César et par Adrien, une seconde fois détruite par Alaric, relevée encore par les Vénitiens, fut saccagée une troisième et dernière fois par Mahomet II. Strabon la vit peu de temps après son rétablissement, sous Auguste. Pausanias l’admira du temps d’Adrien ; et, d’après les monuments qu’ils nous a décrits, c’était à cette époque une ville superbe. Il eût été curieux de savoir ce qu’elle pouvait être en 1173 quand Benjamin de Tudèle y passa ; mais ce juif espagnol raconte gravement qu’il arriva à Patras, " ville d’Antipater, dit-il, un des quatre rois grecs qui partagèrent l’empire d’Alexandre ". De là il se rend à Lépante et à Corinthe : il trouve dans cette dernière ville trois cents juifs conduits par les vénérables rabbins Léon, Jacob et Ezéchias ; et c’était tout ce que Benjamin cherchait.

Des voyageurs modernes nous ont mieux fait connaître ce qui reste de Corinthe après tant de calamités : Spon et Wheler y découvrirent les débris d’un temple de la plus haute antiquité : ces débris étaient composés de onze colonnes cannelées sans base et d’ordre dorique. Spon affirme que ces colonnes n’avaient pas quatre diamètres de hauteur de plus que le diamètre du pied de la colonne, ce qui signifie apparemment qu’elles avaient cinq diamètres. Chandler dit qu’elles avaient la moitié de la hauteur qu’elles auraient dû avoir pour être dans la juste proportion de leur ordre. Il est évident que Spon se trompe, puisqu’il prend pour mesure de l’ordre le diamètre du pied de la colonne, et non le diamètre du tiers. Ce monument, dessiné par Leroi, valait la peine d’être rappelé, parce qu’il prouve ou que le premier dorique n’avait pas les proportions que Pline et Vitruve lui ont assignées depuis, ou que l’ordre toscan, dont ce temple paraît se rapprocher,