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Sparte, à moins que le cours du fleuve n’ait changé et ne se soit éloigné de la ville ; ce qui n’est pas du tout probable. Où est donc Sparte ? Je serai venu jusque ici sans avoir pu la trouver ! Je m’en retournerai sans l’avoir vue ! J’étais dans la consternation. Comme j’allais descendre du château, le Grec s’écria : " Votre Seigneurie demande peut-être Palaeochôri ? " A ce nom je me rappelai le passage de d’Anville ; je m’écrie à mon tour : " Oui, Palaeochôri ! la vieille ville ! Où est-elle, Palaeochôri ? "

" Là-bas, à Magoula, " dit le cicérone ; et il me montrait au loin dans la vallée une chaumière blanche environnée de quelques arbres.

Les larmes me vinrent aux yeux en fixant mes regards sur cette misérable cabane qui s’élevait dans l’enceinte abandonnée d’une des villes les plus célèbres de l’univers, et qui servait seule à faire reconnaître l’emplacement de Sparte, demeure unique d’un chevrier, dont toute la richesse consiste dans l’herbe qui croît sur les tombeaux d’Agis et de Léonidas.

Je ne voulus plus rien voir ni rien entendre : je descendis précipitamment du château, malgré les cris des guides qui voulaient me montrer des ruines modernes et me raconter des histoires d’agas, de pachas, de cadis, de vayvodes ; mais en passant devant l’archevêché je trouvai des papas qui attendaient le Français à la porte, et qui m’invitèrent à entrer de la part de l’archevêque.

Quoique j’eusse bien désiré refuser cette politesse, il n’y eut pas moyen de s’y soustraire. J’entrai donc : l’archevêque était assis au milieu de son clergé dans une salle très propre, garnie de nattes et de coussins à la manière des Turcs. Tous ces papas et leur chef étaient gens d’esprit et de bonne humeur ; plusieurs savaient l’italien et s’exprimaient avec facilité dans cette langue. Je leur contai ce qui venait de m’arriver au sujet des ruines de Sparte : ils en rirent, et se moquèrent du cicérone ; ils me parurent fort accoutumés aux étrangers.

La Morée est en effet remplie de Lévantins, de Francs, de Ragusains, d’Italiens, et surtout de jeunes médecins de Venise et des îles Ioniennes, qui viennent dépêcher les cadis et les agas. Les chemins sont assez sûrs : on trouve passablement de quoi se nourrir ; on jouit d’une grande liberté, pourvu qu’on ait un peu de fermeté et de prudence. C’est en général un voyage très facile, surtout pour un homme qui a vécu chez les sauvages de l’Amérique. Il y a toujours quelques Anglais sur les chemins du Péloponèse : les papas me dirent qu’ils avaient vu dans ces derniers temps des antiquaires et des officiers de cette nation. Il y a même à Misitra une maison grecque qu’on appelle l’ Auberge anglaise : on y mange du roast-beef et l’on y boit du vin de