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qu’avaient fixé les empereurs romains : on ne paye point les chevaux ; le poids de votre bagage est réglé ; on est obligé de vous fournir partout la nourriture, etc. Je ne voulus point user de ces magnifiques mais odieux privilèges, dont le fardeau pèse sur un peuple malheureux : je payai partout mes chevaux et ma nourriture comme un voyageur sans protection et sans firman.

Tripolizza étant une ville absolument moderne, j’en partis le 15 pour Sparte, où il me tardait d’arriver. Il me fallait, pour ainsi dire, revenir sur mes pas, ce qui n’aurait pas eu lieu si j’avais d’abord visité la Laconie en passant par Calamate. A une lieue vers le couchant, au sortir de Tripolizza, nous nous arrêtâmes pour voir des ruines : ce sont celles d’un couvent grec dévasté par les Albanais au temps de la guerre des Russes, mais dans les murs de ce couvent on aperçoit des fragments d’une belle architecture et des pierres chargées d’inscriptions engagées dans la maçonnerie. J’essayai longtemps d’en lire une à gauche de la porte principale de l’église. Les lettres étaient du bon temps, et l’inscription parut être en boustrophédon : ce qui n’annonce pas toujours une très haute antiquité. Les caractères étaient renversés par la position de la pierre ; la pierre elle-même était éclatée, placée fort haut et enduite en partie de ciment. Je ne pus rien déchiffrer hors le mot TEGEATES, qui me causa presque autant de joie que si j’eusse été membre de l’Académie des Inscriptions. Tégée a dû exister aux environs de ce couvent. On trouve dans les champs voisins beaucoup de médailles. J’en achetai trois d’un paysan, qui ne me donnèrent aucune lumière ; il me les vendit très cher. Les Grecs, à force de voir des voyageurs, commencent à connaître le prix de leurs antiquités.

Je ne dois pas oublier qu’en errant parmi ces décombres je découvris une inscription beaucoup plus moderne : c’était le nom de M. Fauvel écrit au crayon sur un mur. Il faut être voyageur pour savoir quel plaisir on éprouve à rencontrer tout à coup dans des lieux lointains et inconnus un nom qui vous rappelle la patrie.

Nous continuâmes notre route entre le nord et le couchant. Après avoir marché pendant trois heures par des terrains à demi cultivés, nous entrâmes dans un désert qui ne finit qu’à la vallée de la Laconie. Le lit desséché d’un torrent nous servait de chemin ; nous circulions avec lui dans un labyrinthe de montagnes peu élevées, toutes semblables entre elles, ne présentant partout que des sommets pelés et des flancs couverts d’une espèce de chêne-vert nain à feuilles de houx. Au bord de ce torrent desséché, et au centre à peu près de ces monticules, nous rencontrâmes un kan ombragé de deux platanes et