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derrière moi sans bottes, les jambes et les pieds nus, et un mouchoir rouge jeté par-dessus son chapeau. Malheureusement il fut arrêté à la porte du palais dans ce bel équipage : les gardes ne voulurent point le laisser passer : il me donnait une telle envie de rire, que je ne pus jamais le réclamer sérieusement. La prétention au turban le perdit, et il ne vit que de loin les grandeurs où il avait aspiré.

Après deux heures de délai, d’ennui et d’impatience, on m’introduisit dans la salle du pacha : je vis un homme d’environ quarante ans, d’une belle figure, assis ou plutôt couché sur un divan, vêtu d’un cafetan de soie, un poignard orné de diamants à la ceinture, un turban blanc à la tête. Un vieillard à longue barbe occupait respectueusement une place à sa droite (c’était peut-être le bourreau) ; le drogman grec était assis à ses pieds ; trois pages debout tenaient des pastilles d’ambre, des pincettes d’argent et du feu pour la pipe. Mon janissaire resta à la porte de la salle.

Je m’avançai, saluai Son Excellence en mettant la main sur mon cœur ; je lui présentai la lettre du consul, et, usant du privilège des Français, je m’assis sans avoir attendu l’ordre.

Osman me fit demander d’où je venais, où j’allais, ce que je voulais.

Je répondis que j’allais en pèlerinage à Jérusalem ; qu’en me rendant à la ville sainte des chrétiens j’avais passé par la Morée pour voir les antiquités romaines 11 ; que je désirais un firman de poste pour avoir des chevaux, et un ordre pour passer l’isthme.

Le pacha répliqua que j’étais le bienvenu, que je pouvais voir tout ce qui me ferait plaisir, et qu’il m’accorderait des firmans. Il me demanda ensuite si j’étais militaire et si j’avais fait la guerre d’Égypte.

Cette question m’embarrassa, ne sachant trop dans quelle intention elle était faite. Je répondis que j’avais autrefois servi mon pays, mais que je n’avais jamais été en Égypte.

Osman me tira tout de suite d’embarras : il me dit loyalement qu’il avait été fait prisonnier par les Français à la bataille d’Aboukir ; qu’il avait été très bien traité de mes compatriotes, et qu’il s’en souviendrait toujours.

Je ne m’attendais point aux honneurs du café, et cependant je les obtins : je me plaignis alors de l’insulte faite à un de mes gens, et Osman me proposa de faire donner devant moi vingt coups de bâton