Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/130

Cette page n’a pas encore été corrigée

s’il te plaist) aux faultes qui s’y pourroient rencontrer ; et le recevant d’aussi bon cueur que je te le présente, tu me donneras courage à l’advenir de n’estre chiche de ce que j’aurai plus exquis rapporté du temps et de l’occasion ; servant à la France selon mon désir. Adieu. "

Le seigneur de Villamont ne s’arrêta point à Zante. Il vint comme moi à la vue de cette île, et, comme moi, le vent du ponent magistral le poussa vers la Morée. J’attendais avec impatience le moment où je découvrirais les côtes de la Grèce ; je les cherchais des yeux à l’horizon, et je les voyais dans tous les nuages. Le 10 au matin j’étais sur le pont avant le lever du soleil. Comme il sortait de la mer, j’aperçus dans le lointain des montagnes confuses et élevées : c’étaient celles de l’Elide. Il faut que la gloire soit quelque chose de réel, puisqu’elle fait ainsi battre le cœur de celui qui n’en est que le juge. A dix heures, nous passâmes devant Navarin, l’ancienne Pylos, couverte par l’île de Sphactérie : noms également célèbres, l’un dans la fable, l’autre dans l’histoire. A midi nous jetâmes l’ancre devant Modon, autrefois Méthone en Messénie. A une heure j’étais descendu à terre, je foulais le sol de la Grèce, j’étais à dix lieues d’Olympie, à trente de Sparte, sur le chemin que suivit Télémaque pour aller demander des nouvelles d’Ulysse à Ménélas : il n’y avait pas un mois que j’avais quitté Paris.

Notre vaisseau avait mouillé à une demi-lieue de Modon, entre le canal formé par le continent et les îles Sapienza et Cabrera, autrefois Oenussae. Vues de ce point, les côtes du Péloponèse vers Navarin paraissent sombres et arides. Derrière ces côtes s’élèvent, à quelque distance dans les terres, des montagnes qui semblent être d’un sable blanc recouvert d’une herbe flétrie : c’étaient là cependant les monts Egalées, au pied desquels Pylos était bâtie. Modon ne présente aux regards qu’une ville de moyen âge, entourée de fortifications gothiques à moitié tombantes. Pas un bateau dans le port, pas un homme sur la rive : partout le silence, l’abandon et l’oubli.

Je m’embarquai dans la chaloupe du bâtiment avec le capitaine pour aller prendre langue à terre. Nous approchions de la côte, j’étais prêt à m’élancer sur un rivage désert et à saluer la patrie des arts et du génie, lorsqu’on nous héla d’une des portes de la ville. Nous fûmes obligés de tourner la proue vers le château de Modon. Nous distinguâmes de loin, sur la pointe d’un rocher, des janissaires armés de toutes pièces et des Turcs attirés par la curiosité. Aussitôt qu’ils furent à la portée de la voix, ils nous crièrent en italien : Ben venuti ! Comme un véritable Grec, je fis attention à ce premier mot de bon augure entendu sur le rivage de la Messénie. Les Turcs se jetèrent dans l’eau pour tirer notre chaloupe à terre, et ils nous aidèrent à sauter sur le