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renommée, et repose lui-même inconnu sous l’oranger de Saint-Onuphre.

Je quittai Venise le 28, et je m’embarquai à dix heures du soir pour me rendre en terre ferme. Le vent du sud-est soufflait assez pour enfler la voile, pas assez pour troubler la mer. A mesure que la barque s’éloignait, je voyais s’enfoncer sous l’horizon les lumières de Venise, et je distinguais, comme des taches sur les flots, les différentes ombres des îles dont la plage est semée. Ces îles, au lieu d’être couvertes de forts et de bastions, sont occupées par des églises et des monastères. Les cloches des hospices et des lazarets se faisaient entendre, et ne rappelaient que des idées de calme et de secours au milieu de l’empire des tempêtes et des dangers. Nous nous approchâmes assez d’une de ces retraites pour entrevoir des moines qui regardaient passer notre gondole ; ils avaient l’air de vieux nautoniers rentrés au port après de longues traverses : peut-être bénissaient-ils le voyageur, car ils se souvenaient d’avoir été comme lui étrangers dans la terre d’Égypte : " Fuistis enim et vos advenae in terra Aegypti. "

J’arrivai avant le lever du jour en terre ferme, et je pris un chariot de poste pour me conduire à Trieste. Je ne me détournai point de mon chemin pour voir Aquilée ; je ne fus point tenté de visiter la brèche par où des Goths et des Huns pénétrèrent dans la patrie d’Horace et de Virgile, ni de chercher les traces de ces armées qui exécutaient la vengeance de Dieu. J’entrai à Trieste le 29 à midi. Cette ville, régulièrement bâtie, est située sous un assez beau ciel, au pied d’une chaîne de montagnes stériles : elle ne possède aucun monument. Le dernier souffle de l’Italie vient expirer sur ce rivage où la barbarie commence.

M. Seguier, consul de France à Trieste, eut la bonté de me faire chercher un bâtiment ; on en trouva un prêt à mettre à la voile pour Smyrne : le capitaine me prit à son bord avec mon domestique. Il fut convenu qu’il me jetterait en passant sur les côtes de la Morée, que je traverserais par terre le Péloponèse ; que le vaisseau m’attendrait quelques jours à la pointe de l’Attique, au bout desquels jours si je ne paraissais point il poursuivrait son voyage.

Nous appareillâmes le 1er août à une heure du matin. Nous eûmes les vents contraires en sortant du port. L’Istrie présentait le long de la mer une terre basse, appuyée dans l’intérieur sur une chaîne de montagnes. La Méditerranée, placée au centre des pays civilisés, semée d’îles riantes, baignant des côtes plantées de myrtes, de palmiers et d’oliviers, donne sur-le-champ l’idée de cette mer où naquirent Apollon, les Néréides et Vénus, tandis que l’Océan, livré aux