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enveloppa dans des peaux d’ours, et reprit le chemin de son pays, emportant ces précieux restes, qui résonnaient sur ses épaules comme le carquois de la mort. La nuit, il les mettait sous sa tête, et il avait des songes d’amour et de vertu. Ô étranger ! tu peux contempler ici cette poussière avec celle de Chactas lui-même. »

Comme l’Indienne achevait de prononcer ces mots, je me levai ; je m’approchai des cendres sacrées et me prosternai devant elles en silence. Puis, m’éloignant à grands pas, je m’écriai : « Ainsi passe sur la terre tout ce qui fut bon, vertueux, sensible ! Homme, tu n’es qu’un songe rapide, un rêve douloureux ; tu n’existes que par le malheur ; tu n’es quelque chose que par la tristesse de ton âme et l’éternelle mélancolie de ta pensée ! »

Ces réflexions m’occupèrent toute la nuit. Le lendemain, au point du jour, mes hôtes me quittèrent. Les jeunes guerriers ouvraient la marche et les épouses la fermaient ; les premiers étaient chargés des saintes reliques ; les secondes portaient leurs nouveau-nés ; les vieillards cheminaient lentement au milieu, placés entre leurs aïeux et leur postérité, entre les souvenirs et l’espérance, entre la patrie perdue et la patrie à venir. Oh ! que de larmes sont répandues lorsqu’on abandonne ainsi la terre natale, lorsque du haut de la colline de l’exil on découvre pour la dernière fois le toit où l’on fut nourri et le fleuve de la cabane qui continue de couler tristement à travers les champs solitaires de la patrie !

Indiens infortunés que j’ai vus errer dans les désert du Nouveau-Monde avec les cendres de vos aïeux ! vous qui m’aviez donné l’hospitalité malgré votre misère ! je ne pourrais vous la rendre aujourd’hui, car j’erre, ainsi que vous, à la merci des hommes, et, moins heureux dans mon exil, je n’ai point emporté les os de mes pères !

fin d’atala.