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un monde qui n’est pas digne de posséder une chrétienne, au milieu d’idolâtres qui persécutent le Dieu de ton père et le mien, le Dieu qui, après t’avoir donné le jour, te l’a conservé par un miracle. Eh ! ma chère enfant, en acceptant le voile des vierges, tu ne fais que renoncer aux soucis de la cabane et aux funestes passions qui ont troublé le sein de ta mère ! Viens donc, ma bien-aimée, viens, jure sur cette image de la Mère du Sauveur, entre les mains de ce sain prêtre et de ta mère expirante, que tu ne me trahiras point à la face du ciel. Songe que je me suis engagée pour toi, afin de te sauver la vie, et que si tu ne tiens ma promesse, tu plongeras l’âme de ta mère dans des tourments éternels. »

« Ô ma mère ! pourquoi parlâtes-vous ainsi ! Ô religion qui fais à la fois mes maux et ma félicité, qui me perds et qui me consoles ! Et toi, cher et triste objet d’une passion qui me consume jusque dans les bras de la mort, tu vois maintenant, ô Chactas, ce qui a fait la rigueur de notre destinée !… Fondant en pleurs et me précipitant dans le sein maternel, je promis tout ce qu’on me voulut faire promettre. Le missionnaire prononça sur moi les paroles redoutables, et me donna le scapulaire qui me lie pour jamais. Ma mère me menaça de sa malédiction si jamais je rompais mes vœux, et après m’avoir recommandé un secret inviolable envers les païens, persécuteurs de ma religion, elle expira en me tenant embrassée.

« Je ne connus pas d’abord le danger de mes serments. Pleine d’ardeur et chrétienne véritable, fière du sang espagnol qui coule dans mes veines, je n’aperçus autour de moi que des hommes indignes de recevoir ma main ; je m’applaudis de n’avoir d’autre époux que le Dieu de ma mère. Je te vis, jeune et beau prisonnier, je m’attendris sur ton sort, je t’osai parler au bûcher de la forêt : alors je sentis tout le poids de mes vœux. »

« Comme Atala achevait de prononcer ces paroles, serrant les poings et regardant le missionnaire d’un air menaçant, je m’écriai : « La voilà donc cette religion que vous m’avez tant vantée ! Périsse le serment qui m’enlève Atala ! Périsse le Dieu qui contrarie la nature ! Homme prêtre, qu’es-tu venu faire dans ces forêts ? »

« — Te sauver, dit le vieillard d’une voix terrible, dompter tes passions et t’empêcher, blasphémateur, d’attirer sur toi la colère céleste ! Il te sied bien, jeune homme à peine entré dans la vie, de te plaindre de tes douleurs ! Où sont les marques de tes souffrances ? Où sont les injustices que tu as supportées ? Où sont tes vertus, qui seules pourraient te donner quelques droits à la plainte ? Quel ser-