Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 3.djvu/59

Cette page a été validée par deux contributeurs.

« En achevant ces mots, le solitaire se mit à genoux, et nous imitâmes son exemple. Il commença à haute voix une prière, à laquelle Atala répondait. De muets éclairs ouvraient encore les cieux dans l’orient, et sur les nuages du couchant trois soleils brillaient ensemble. Quelques renards dispersés par l’orage allongeaient leurs museaux noirs au bord des précipices, et l’on entendait le frémissement des plantes qui, séchant à la brise du soir, relevaient de toutes parts leurs tiges abattues.

« Nous rentrâmes dans la grotte, où l’ermite étendit un lit de mousse de cyprès pour Atala. Une profonde langueur se peignait dans les yeux et dans les mouvements de cette vierge ; elle regardait le père Aubry, comme si elle eût voulu lui communiquer un secret, mais quelque chose semblait la retenir, soit ma présence, soit une certaine honte, soit l’inutilité de l’aveu. Je l’entendis se lever au milieu de la nuit ; elle cherchait le solitaire, mais comme il lui avait donné sa couche, il était allé contempler la beauté du ciel et prier Dieu sur le sommet de la montagne. Il me dit le lendemain que c’était assez sa coutume, même pendant l’hiver, aimant à voir les forêts balancer leurs cimes dépouillées, les nuages voler dans les cieux, et à entendre les vents et les torrents gronder dans la solitude. Ma sœur fut donc obligée de retourner à sa couche, où elle s’assoupit. Hélas ! comblé d’espérance, je ne vis dans la faiblesse d’Atala que des marques passagères de lassitude !

« Le lendemain, je m’éveillai aux chants des cardinaux et des oiseaux-moqueurs, nichés dans les acacias et les lauriers qui environnaient la grotte. J’allai cueillir une rose de magnolia, et je la déposai, humectée des larmes du matin, sur la tête d’Atala endormie. J’espérais, selon la religion de mon pays, que l’âme de quelque enfant mort à la mamelle serait descendue sur cette fleur dans une goutte de rosée, et qu’un heureux songe la porterait au sein de ma future épouse. Je cherchai ensuite mon hôte ; je le trouvai la robe relevée dans ses deux poches, un chapelet à la main et m’attendant assis sur le tronc d’un pin tombé de vieillesse. Il me proposa d’aller avec lui à la Mission, tandis qu’Atala reposait encore ; j’acceptai son offre, et nous nous mîmes en route à l’instant.

« En descendant la montagne, j’aperçus des chênes où les Génies semblaient avoir dessiné des caractères étrangers. L’ermite me dit qu’il les avait tracés lui-même, que c’étaient des vers d’un ancien poëte appelé Homère et quelques sentences d’un autre poëte plus ancien encore, nommé Salomon. Il y avait je ne sais quelle mystérieuse harmonie entre cette sagesse des temps, ces vers rongés de mousse, ce