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Cent fois au bord de cette onde infidèle
J’irai dormir sous le coudre odorant,
Et disputer de paresse avec elle.

Sous le saule nourri de ta fraîcheur amie,
Fleuve témoin de mes soupirs,
Dans ces prés émaillés, au doux bruit des zéphyrs,
Ton passage offre ici l’image de la vie.
En des vallons déserts, au sortir de ces fleurs,
Tu conduis tes ondes errantes :
Ainsi nos heures inconstantes
Passent des plaisirs aux douleurs.

Mais si voluptueux, du moins dans notre course.
Du printemps nous allons jouir,
Nos jours plus doucement s’éloignent de leur source.
Emportant avec eux un tendre souvenir :
Ainsi tu vas moins triste au rocher solitaire,
Vers ces bois où tu fuis toujours,
Si de ces prés ton heureux cours
Entraîne quelque fleur légère.

De mon esprit ainsi l’enchantement
Naît et s’accroît pendant tout un feuillage.
L’aquilon vient, et l’on voit tristement
L’arbre isolé sur le coteau sauvage
Se balancer au milieu de l’orage.
De blancs oiseaux en troupes partagés
Quittent les bords de l’Océan antique :
Tous en silence à la file rangés
Fendent l’azur d’un ciel mélancolique.
J’erre aux forêts où pendent les frimas :
Interrompu par le bruit de la feuille
Que lentement je traîne sous mes pas,
Dans ses pensers mon esprit se recueille.

Qui le croiroit ? plaisirs solacieux.
Je vous retrouve en ce grand deuil des cieux :
L’habit de veuve embellit la nature.
Il est un charme à des bois sans parure :