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Philippe était son nom parmi les anges, et les hommes le nommaient Lopez. »

« À ces mots je poussai un cri qui retentit dans toute la solitude ; le bruit de mes transports se mêla au bruit de l’orage. Serrant Atala sur mon cœur, je m’écriai avec des sanglots : « Ô ma sœur ! ô fille de Lopez ! fille de mon bienfaiteur ! » Atala, effrayée, me demanda d’où venait mon trouble ; mais quand elle sut que Lopez était cet hôte généreux qui m’avait adopté à Saint-Augustin, et que j’avais quitté pour être libre, elle fut saisie elle-même de confusion et de joie.

« C’en était trop pour nos cœurs que cette amitié fraternelle qui venait nous visiter et joindre son amour à notre amour. Désormais les combats d’Atala allaient devenir inutiles ; en vain je la sentis porter une main à son sein et faire un mouvement extraordinaire : déjà je l’avais saisie, déjà je m’étais enivré de son souffle, déjà j’avais bu toute la magie de l’amour sur ses lèvres. Les yeux levés vers le ciel, à la lueur des éclairs, je tenais mon épouse dans mes bras en présence de l’Éternel. Pompe nuptiale, digne de nos malheurs et de la grandeur de nos amours ; superbes forêts qui agitiez vos lianes et vos dômes comme les rideaux et le ciel de notre couche, pins embrasés qui formiez les flambeaux de notre hymen, fleuve débordé, montagnes mugissantes, affreuse et sublime nature, n’étiez-vous donc qu’un appareil préparé pour nous tromper, et ne pûtes-vous cacher un moment dans vos mystérieuses horreurs la félicité d’un homme ?

« Atala n’offrait plus qu’une faible résistance ; je touchais au moment du bonheur quand tout à coup un impétueux éclair, suivi d’un éclat de la foudre, sillonne l’épaisseur des ombres, remplit la forêt de soufre et de lumière et brise un arbre à nos pieds. Nous fuyons. Ô surprise !… dans le silence qui succède nous entendons le son d’une cloche ! Tous deux interdits, nous prêtons l’oreille à ce bruit, si étrange dans un désert. À l’instant un chien aboie dans le lointain ; il approche, il redouble ses cris, il arrive, il hurle de joie à nos pieds ; un vieux solitaire portant une petite lanterne le suit à travers les ténèbres de la forêt. « La Providence soit bénie ! s’écria-t-il aussitôt qu’il nous aperçut. Il y a bien longtemps que je vous cherche ! Notre chien vous a sentis dès le commencement de l’orage, et il m’a conduit ici. Bon Dieu ! comme ils sont jeunes ! Pauvres enfants ! comme ils ont dû souffrir ! Allons ! j’ai apporté une peau d’ours, ce sera pour cette jeune femme ; voici un peu de vin dans notre calebasse. Que Dieu soit loué dans toutes ses œuvres ! sa miséricorde est bien grande, et sa bonté est infinie ! »