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« Puisse Mila éteindre ce flambeau ! Puisse sa bouche verser sur lui une ombre voluptueuse ! Je fertiliserai son sein. L’espoir de la patrie pendra à sa mamelle féconde, et je fumerai mon calumet de paix sur le berceau de mon fils !

« Ah ! laissez-moi devancer les pas du jour sur le sommet des montagnes pour chercher ma colombe solitaire parmi les chênes de la forêt ! »

« Ainsi chantait ce jeune homme, dont les accents portèrent le trouble jusqu’au fond de mon âme et firent changer de visage à Atala. Nos mains unies frémirent l’une dans l’autre. Mais nous fûmes distraits de cette scène par une scène non moins dangereuse pour nous.

« Nous passâmes auprès du tombeau d’un enfant, qui servait de limite à deux nations. On l’avait placé au bord du chemin, selon l’usage, afin que les jeunes femmes, en allant à la fontaine, pussent attirer dans leur sein l’âme de l’innocente créature et la rendre à la patrie. On y voyait dans ce moment des épouses nouvelles qui, désirant les douceurs de la maternité, cherchaient, en entrouvrant leurs lèvres, à recueillir l’âme du petit enfant, qu’elles croyaient voir errer sur les fleurs. La véritable mère vint ensuite déposer une gerbe de maïs et des fleurs de lis blancs sur le tombeau. Elle arrosa la terre de son lait, s’assit sur le gazon humide et parla à son enfant d’une voix attendrie :

« Pourquoi te pleuré-je dans ton berceau de terre, ô mon nouveau-né ! Quand le petit oiseau devient grand, il faut qu’il cherche sa nourriture, et il trouve dans le désert bien des graines amères. Du moins tu as ignoré les pleurs ; du moins ton cœur n’a point été exposé au souffle dévorant des hommes. Le bouton qui sèche dans son enveloppe passe avec tous ses parfums, comme toi, ô mon fils ! avec toute ton innocence. Heureux ceux qui meurent au berceau : ils n’ont connu que les baisers et les souris d’une mère ! »

« Déjà subjugués par notre propre cœur, nous fûmes accablés par ces images d’amour et de maternité, qui semblaient nous poursuivre dans ces solitudes enchantées. J’emportai Atala dans mes bras au fond de la forêt, et je lui dis des choses qu’aujourd’hui je chercherais en vain sur mes lèvres. Le vent du midi, mon cher fils, perd sa chaleur en passant sur des montagnes de glace. Les souvenirs de l’amour dans le cœur d’un vieillard sont les feux du jour réfléchis par l’orbe paisible de la lune, lorsque le soleil est couché et que le silence plane sur les huttes des sauvages.

« Qui pouvait sauver Atala ? qui pouvait l’empêcher de succomber à