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sous Charles II, attaquée sous Jacques II, avait pourtant été conservée dans les formes constitutionnelles, et ces formes la transmirent à la nation, qui continua de féconder le sol natal après l'expulsion des Stuarts.

Ces princes ne purent jamais pardonner au peuple anglais les maux qu'il leur avait fait endurer ; le peuple anglais ne put jamais oublier que ces princes avaient essayé de lui ravir ses droits : il y avait de part et d'autre trop de justes ressentiments et trop d'offenses. Toute confiance réciproque étant détruite, on se regarda en silence pendant quelques années. Les générations qui avaient souffert ensemble, également fatiguées, consentirent à achever leurs jours ensemble ; mais les générations nouvelles, qui ne sentaient pas cette lassitude, qui, ne nourrissant plus d'inimitiés, n'avaient pas besoin d'entrer dans les compromis du malheur, ces générations revendiquèrent les fruits du sang et des larmes de leurs pères : il fallut dire adieu aux choses du passé. Il ne restait dans les deux partis à la révolution de 1688 que quelques témoins de la catastrophe de 1649 : Jacques lui-même, qui allait mourir dans l'exil, et le vieux régicide Ludlow, qui revint de l'exil pour jouir du plaisir de voir chasser un roi dont il avait condamné le père. Ludlow se trouva d'ailleurs tout aussi étranger dans Londres avec ses principes républicains que Jacques avec ses maximes de pouvoir absolu.

Mais nous nous trompons dans ce récit : un autre personnage assista encore à l'avènement de Guillaume. Le nommé Clark, du comté d'Erford, avait eu un procès avec ses filles. Après la mort de son fils unique, il vint plaider à Londres ; il lui prit envie d'assister à une séance de la chambre haute. Un homme lui demanda s'il avait jamais rien vu de semblable. « Non pas, répondit Clark, depuis que j'ai cessé de m'asseoir dans ce fauteuil. » Il montrait le trône : c'était Richard Cromwell.

Les Stuarts auraient-ils pu régner après la restauration ? Très facilement, en faisant ce que fit Guillaume en Angleterre, ce qu'a fait Louis XVIII en France, en donnant une charte, en acceptant de la révolution ce qu'elle avait de bon, d'invincible, ce qui était accompli dans les esprits et dans le siècle, ce qui était terminé dans les moeurs, ce qu'on ne pouvait essayer de détruire, sans remonter violemment les âges, sans imprimer à la société un mouvement rétrograde, sans bouleverser de nouveau la nation. Les révolutions qui arrivent chez les peuples dans le sens naturel, c'est-à-dire dans le sens de la marche progressive du temps, peuvent être terribles, mais elles sont durables ; celles que l'on tente en sens contraire, c'est-à-dire en rebroussant le