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et toutefois, bravant l'animadversion publique, il fit baptiser son fils dans la communion romaine : le pape fut déclaré parrain de ce jeune roi, qui ne devait point porter la couronne. La conscience était la vertu de ce Jacques II, mais il ne l'appliquait qu'à un seul objet : cette vive lumière devenait pour lui des ténèbres lorsqu'elle frappait autre chose qu'un autel.

Le prince d'Orange avançait lentement vers Londres, où la seule présence de Jacques combattait l'usurpateur. Peu à peu la défection se mit dans l'armée anglaise. Le Lilli-Bullero, espèce d'hymne révolutionnaire, fut chanté parmi les déserteurs. « Qu'on leur donne des passeports en mon nom, dit Jacques, pour aller trouver le prince d'Orange ; je leur épargnerai la honte de me trahir. »

Cependant le roi prenait la plus fatale des résolutions, celle de quitter Londres. Il fit partir d'abord la reine et son jeune fils, qu'accompagnait Lauzun, favori de la fortune, comme ses suppliants en étaient le jouet. Jacques lui-même s'embarqua sur la Tamise, y jeta le sceau de l'Etat ou plutôt sa couronne, que le flot ne lui rapporta jamais. Arrêté par hasard à Feversham, il revint à Londres, où le peuple le salua des plus vives acclamations : cette inconstance populaire pensa renverser l'oeuvre de la patiente et coupable ambition du prince d'Orange. Ce duc d'York, si brave dans sa jeunesse sous les drapeaux de Turenne et de Condé, si vaillant et si habile amiral sur les flottes de son frère Charles II, ce duc d'York ne retrouvait plus comme roi son ancien courage ; il ne s'agissait cependant pour lui que de rester et de regarder en face son gendre et sa fille. Guillaume lui fit ordonner de se retirer au château de Ham ; le monarque, au lieu de s'indigner contre cet ordre, sollicita humblement la permission de se rendre à Rochester. Le prince d'Orange devina aisément que son beau-père, en se rapprochant de la mer, avait l'intention de s'échapper du royaume ; or, c'était tout ce que désirait l'usurpateur : il s'empressa d'accorder la permission : Jacques gagna furtivement le rivage, monta sur un vaisseau qui l'attendait et que personne ne voulait prendre.

L'austère catholique qui sacrifiait un royaume à sa foi était suivi de son fils naturel, le duc de Berwick, qu'il avait eu d'Arabelle Churchill, soeur du duc de Marlborough. Marlborough devait sa fortune à Jacques ; il déserta son bienfaiteur et son maître infortuné pour se donner à un coupable heureux. Berwick et Marlborough, l'un bâtard et l'autre traître, devaient devenir deux capitaines célèbres : Marlborough ébranla l'empire de Louis XIV ; Berwick assura l'Espagne au petit-fils de ce grand roi, et ne put rendre l'Angleterre à son père,