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franchise que votre spirituelle, sensée et très aimable majesté ? Pourquoi repousse-t-elle mon pauvre mentorat qui est si peu de chose, qui, venant de si loin, frappe si faiblement au but ? Par exemple vous fâcherez-vous, sire, si je vous demande encore le billet que M. de Ch. m’avait chargé il y a quelques mois de vous demander ? un billet en peu de mots pur et simple ? Vous ne sauriez croire ce que je souffre quand il me semble que vous n’êtes pas en règle avec les gens que je vois. Ils ont beau ne rien dire, je les entends.

Si je trouve une occasion de vous envoyer cette lettre ce soir, je vous l’enverrai ; … sinon elle partira samedi prochain, jour où je dois voir arriver Zingarelli. Nous ferons ensemble la musique de l’Olympiade de Métastase dont j’ai déjà fait ou ébauché presque tous les airs. Avez-vous lu les Éclaircissements sur la publication des Confessions, etc. ? Je suis persuadée que vous en serez très content. Fauche[1] a eu soin de les répandre pour son intérêt… Vous me demandez si j’ai renoncé à Cécile et aux voyages du fils de lady Betty avec l’amant de Caliste. Hélas ! je n’ai point renoncé ; mais où retrouver quelque enthousiasme, quelque persuasion que l’homme peut valoir quelque chose, que le mariage peut être un doux, tendre et fort lien, au lieu d’une raboteuse, pesante et pourtant fragile chaîne ? L’imagination se dessèche en voyant tout ce qui est, ou bien on se croit fou quand on s’est ému quelques moments pour ce qu’on croyait qui pouvait être. Le temps d’une certaine simplicité romanesque de cœur s’est prolongé pour moi outre mesure ; mais peut-il durer toujours et malgré la sécheresse de ma situation En fait de littérature, hors M. du Peyrou[2] qui

  1. Libraire neuchâtelois.
  2. L’ami de J.-J. Rousseau, celui avec lequel ce dernier retrouva un jour les pervenches. M. du Peyrou vivait à Neuchâtel, où l’un montre encore son hôtel.