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benjamin constant

trie, initiateur et novateur jeté entre deux siècles, tenant à l’un, à l’ancien, par les racines, hélas ! et par les mœurs, visant au nouveau par la tête et par les tentatives, il fut heureux qu’à une heure décisive, un génie cordial et puissant, le génie de l’avenir en quelque sorte, lui apparût, lui apprît le sentiment, si absent jusqu’alors, de l’admiration, et le tirât des lentes et misérables agonies où il se traînait. Il eût été guéri à coup sûr par ce bienfaisant génie, s’il eût pu l’être ; il fut convié du moins et associé aux nobles efforts ; il put se créer et poursuivre le fantôme, parfois attachant, d’une haute et publique destinée.

Les opinions politiques de Benjamin Constant durant cette fin d’année 1794 se poussent, s’acheminent de plus en plus dans le sens indiqué, et concordent parfaitement avec celles qu’il produira deux ans plus tard, en 96, dans ses premières brochures :


« La politique française, écrit-il agréablement à madame de Charrière (14 octobre 1794), s’adoucit d’une manière étonnante. Je suis devenu tout-à-fait talliéniste, et c’est avec plaisir que je vois le parti modéré prendre un ascendant décidé sur les jacobins. Dubois-Crancé, en promettant la paix dans un mois, si l’unanimité pouvait se rétablir dans l’assemblée, et Bourdon de l’Oise, en appelant la noblesse une classe malheureuse et opprimée qui a eu des torts, mais qui doit s’attacher à la république, oublier ses ressentiments, reprendre de l’énergie, m’ont fait une impression beaucoup plus douce que je ne l’aurais attendu d’un démocrate défiant et féroce tel que je me piquais de l’être. Je sens que je me modérantise, et il faudra que vous me proposiez anodinement une petite contre-révolution pour me remettre à la hauteur des principes… Si la paix se fait, comme je le parie, et que la république tienne, comme je le désire, je ne sais si mon